Bahamas, l’heure du bilan
[Aurélie] Lorsque le premier éclair est tombé près du bateau, je me suis réveillée en sursaut, persuadée que nous avions pris la foudre. Eric tenta gentiment, et de façon très rationnelle, de me rassurer: « La probabilité que l’on prenne la foudre est infime. Rendors-toi, je vais juste aller débrancher ce qui peut l’être par acquis de conscience ». Je replonge donc la tête dans l’oreiller en me disant qu’il faut que j’arrête d’être parano, quant tout à coup BAM! Le bruit est assourdissant, mais ne dure qu’une seconde. S’en suit un silence presque plus assourdissant encore… Je monte d’un bond dans le carré et découvre Eric, hagard. Je lui parle mais il ne répond pas, il poursuit machinalement ce qu’il avait entamé et dépose délicatement les appareils débranchés dans le four…. Quand l’éclair a frappé le bateau, il était juste à côté de la base du mât. Et là je remercie mon oreiller d’avoir un tant soit peu préservé mes oreilles. Eric est vraiment sonné.
De mon côté, j’ai l’impression de trembler… mais je réalise vite que c’est le bateau qui vibre. Je préviens Eric que j’ai l’impression que l’un des moteurs est en route.
[Eric] Je dis que c’est impossible, que c’est le vent. Projecteur à la main (il n’y a plus d’électricité), elle redescend dans la cabine (notre lit est partiellement au-dessus de la cabine moteur) et remonte précipitamment pour me dire qu’il y a de la fumée partout.
Je saisis un extincteur et me rue vers la soute moteur tribord. J’ouvre lentement… puis les flammes ne jaillissant pas, j’ouvre franchement. Le moteur tourne ! D’une façon ou d’une autre, sous l’effet de la décharge, il s’est mis en route (rappel : il était 1h00, on dormait au mouillage). Une fumée épaisse sort aussitôt. Une fumée âcre, du plastique brûlé. C’est irrespirable. Je bondis alors vers le poste de barre et les commandes moteur. Je tente d’éteindre le moteur. Rien. D’ailleurs l’afficheur qui habituellement montre diverses indications, le compte-tours, … reste noir et muet.
Je retourne vers la soute moteur et cette fois-ci, après un grande inspiration, je descends en apnée. On ne voit pas à 20cm. Je localise aussitôt le levier d’arrêt manuel (coupe le carburant à l’entrée du compresseur diesel). Certains rigolent, mais je connais la soute par cœur. Les robinets d’arrivée et de retour de diesel, les positions des éléments rotatifs (dangereux), les circuits, …
Le moteur s’arrête. Je ressors. L’odeur de brûlé est partout. Nous la sentirons pendant plusieurs jours et semaines.
[Aurélie] Pendant qu’Eric opère dans la cale moteur, je descends dans la cabine babord pour rassurer les filles… que je découvre endormies comme des petits loirs bien tranquilles!!! Je remonte donc aussi sec prêter main forte à Eric qui entreprend de faire l’état des lieux des dégâts. Pour ma part, étant donné l’odeur de brûlé qui règne à peu près partout dans le bateau (hormis la coque tribord où dorment les filles, ce qui me rassure) la motivation première à l’étude des entrailles du bateau est de vérifier qu’il n’y a aucun départ de feu.
[Eric] Armée des gros projecteurs à main (ceux qu’on utilise en navigation de nuit pour éclairer la côte, une bouée, notre voile, …) Aurélie m’éclaire alors que je commence à ouvrir tous les coffres où se logent les composants électriques. Batteries au lithium, gros fusibles, coupe-batterie, organes de distributions et « digital switches » (notre réseau électrique est entièrement « digital »).
Mais, après des heures d’investigation, multimètre à la main, le bilan semble lourd : il y a bien du jus dans les batteries, mais il n’est plus acheminé. Des dizaines de fusibles ont sauté. Et quand je les remplace, ils ressautent : les digital switches sont, au moins en partie, détruits. D’ailleurs, ça sent le cramé partout.
Je tente de brancher les frigos en direct (sans passer ni par les fusibles, ni par les digital switches… mais l’arc électrique est peu rassurant, d’autant qu’à la seconde tentative, il n’y a même plus d’arc, mais de la fumée s’échappe du compartiment du compresseur ! Je dévisse les cloisons en vitesse… la platine qui alimente le moteur est cramée. Une victime, sans doute pas la première, de la foudre.
[Aurélie] Outre le bilan des dégâts et la surveillance de départ de feu potentiel, l’orage qui continue de gronder nous maintient en éveil. Dans cette situation, la notion de probabilité n’est plus du tout rationnelle et à chaque éclair nous comptons en chœur les secondes qui séparent le flash de lumière du bruit de tonnerre pour évaluer à quelle distance se trouve l’orage. Entre-temps, les filles se sont réveillées à force de nous entendre farfouiller sous leurs lits, où se trouvent certains boîtiers électriques.
Sur le coup, j’accuse plutôt bien le choc. Une fois que le risque d’incendie a été écarté, et rassurée par le fait qu’Eric avait sauvé notre iridium en le débranchant, j’étais juste heureuse que personne ne soit blessé et que le bateau puisse encore naviguer. Vers 5h du matin, nous retournons au lit et je m’endors quasiment immédiatement.
[Eric] Je tente de dormir… mais à 6h, alors que le soleil se lève, je jette l’éponge. Mon cerveau est plein de listes de priorité. Je me lève et je reprends le travail.
Toute la journée je joue du multimètre, du tournevis, des bouts de fils électriques, … Le bilan commence à se former :
- 100% de l’électronique est morte (plus de sondeur, plus d’ordinateur de bord, plus de radar, plus de mesure du vent, …)
- 100% du réseau électrique switché est mort. J’utilise des bouts de fils et des cosses pour raccorder les équipements encore en vie
- le moteur qui a démarré tout seul a son boitier MDI (contrôle de démarrage) HS. Du coup, le démarreur s’est lancé… mais il ne s’est pas arrêté. Le moteur tournant et étant bien plus fort que le démarreur, ce dernier a cramé et les faisceaux électriques du moteur avec. Il ne redémarrera pas. Et manœuvrer un catamaran avec un seul moteur… c’est impossible.
- nos 2 frigos ont rendu l’âme. Les moteurs des compresseurs sont cramés.
Ce bilan est catastrophique. Du mode « croisière de rêve, dans un décor de rêve, avec un bateau moderne et confortable« , on passe au mode « guerrier en camping« . Ça va se chiffrer entre 80 et 100 KEUR ! Désolé M. l’Assureur…
Il va falloir :
- ramener le bateau à bon port (Nassau est à 200 MN d’ici)
- naviguer de jour exclusivement et encore, quand le soleil est haut. Les Bahamas, c’est des centaines de Km avec à peine 2m de fond… et souvent moins !
- prioriser la nourriture pour perdre le moins de choses possibles… nous qui avions soigneusement fait le plein de légumes, de beurre, de bières, …
- gérer la suite, l’assurance, les réparations, annuler le convoyage, …
Je passe un email à l’assureur et au chantier Outremer. Comme on est au bout du monde, il n’y a pas de réseau. Tout se fait par satellite. Heureusement, l’Iridium Go! et nos téléphones et tablettes n’étaient pas branchées au moment de l’impact !
Ce soir, on ne bougera pas du mouillage. Le moral revient… un peu… au fur et à mesure que je restaure certaines fonctions : un peu d’éclairage, le groupe d’eau, les pompes de WC et de douches, …
Par chance, il semble que certains organes fonctionnent [à peu près] :
- batteries
- panneaux solaires et régulateur de charge
- winch électrique (pour hisser la voile)
- guindeau (pour remonter ou descendre la chaîne d’ancre)
- dessalinisateur (fabrique l’eau douce à partir de l’eau de mer)
- convertisseur (fourni du 220V alternatif à partir du 12V)
[Aurélie] A ce stade, je suis toujours d’humeur égale. Je me suis tout de suite faite à l’idée que nous allions être en mode camping jusqu’au prochain port. Je fais l’inventaire des frigos pour voir quels sont les aliments à consommer en priorité. Je me réjouis d’apprendre que le dessal, les panneaux solaires et les batteries lithium ne nous ont pas lâchés. Et je fais la danse de la joie à chaque fois qu’Eric parvient à reconnecter quelque chose: trois ampoules ? Danse de la joie ! La pompe à eau ? Danse de la joie ! Les WC ? Double danse de la joie !! Bref, le moral est bon. Et tant mieux parce que je sens qu’Eric lui a vraiment le moral dans les chaussettes. Le coup de grâce arrive quand nous découvrons un email du broker du chantier qui nous annonce qu’un acheteur potentiel viendra visiter le bateau à Nassau le 13 juin… Plombé par la situation, Eric voit tout en noir. Il pense que le bateau sera invendable, qu’on ne pourra pas le rapatrier en France avant l’hiver, etc…
Heureusement les filles sont exemplaires. Elles sentent que l’ambiance est électrique (Zapata sort de ce corps !) et elles font tout pour apaiser les tensions. Elles se font très discrètes, font preuve de beaucoup d’autonomie, jouent ensemble dans leur coque sans nous solliciter et sans se disputer, viennent régulièrement proposer de l’aide ou des câlins. Cette capacité d’adaptation des enfants m’épatera toujours.
[Eric] Notre programme d’un mois au Bahamas est sévèrement bousculé. Nous allons devoir nous hâter vers le Nord et Nassau… voire la Floride. Car il n’est pas du tout certain que tout ce qu’il y a à réparer puisse l’être à Nassau.
Dès le lendemain on se remet en route. Le seul moteur qui nous reste fait tourner le bateau dès qu’on l’enclenche. Tant qu’il n’y a pas de vitesse, impossible de diriger le navire. C’est stressant mais il va falloir s’y faire.
On atteint Buena Vista Cay, quelques 15 MN plus au Nord.
Là aussi, c’est magnifique… mais sensiblement gâché par notre moral en berne. On visite une jolie grotte creusée dans le corail et nous empruntons une « flip-flap trail », petit chemin balisé par les navigateurs de passage, au moyen des tongs et autres souliers rejetés par la mer sur la plage. Ce sentier permet de traverser l’île et son environnement assez peu amical : cactus, sol de corail mort coupant, insectes, …
Le jour d’après, ce sera près de 30MN jusqu’à Flamingo Cay.
On se déplace presque exclusivement au moteur : il n’y a guère de vent.
D’ici on refait nos calculs. Le temps (il faut vite remonter au Nord), la météo (des vents forts se profilent dans les prochains jours), les marées (ici, elles deviennent non négligeables et font circuler de forts courants dans les passes déjà bien peu profondes), nos réserves de carburant, …
Au lieu de terminer l’arc des Jumentos et de viser le bas des Exumas, nous allons viser un peu plus haut sur les Exumas, Pudding Cut, une passe audacieuse, car encerclée de hauts fonds d’à peine 1m. Il faudra que la marée (et Poséïdon) soient avec nous.
Aurélie n’en dort pas.
[Aurélie] Effectivement. Alors qu’Eric a retrouvé un peu le moral, c’est à mon tour d’avoir un coup de mou. La navigation à vue est vraiment stressante, tout comme les manœuvres avec un seul moteur. Tout ce qui faisait partie d’un quotidien bien maîtrisé devient une source de tension: rester face au vent le temps de monter la voile par 25kts sans faire un 360° relève de l’exploit, remonter l’ancre en moins de 10 minutes un challenge, prendre un coffre du premier coup une sacrée victoire…
Et la tension nous rend aussi moins vigilent pour des choses élémentaires. Le lendemain de notre coup de foudre (ha ha) Eric a fait un empannage sous code D avec les pieds dans les écoutes. La sentence fut immédiate: l’écoute s’est enroulée autour de sa cheville et l’a brûlé, peau à vif, à trois endroits…
J3: Nous tentons de faire monter la grand voile dans les conditions précédemment évoquées… et là, pour la première fois en 10 mois, une des bosses de ris se coince dans la poulie d’une autre bosse… Eric me passe la barre en urgence et saute sur la baume. D’une main je tiens la drisse de GV pour la faire redescendre légèrement afin de faciliter la tâche d’Eric, de l’autre je tiens la baume pour tenter de rester face au vent, le tout en gardant un oeil inquiet sur mon homme qui oscille furieusement debout sur la baume… et j’en oublie qu’il avait mis les gaz à fond pour nous redonner de l’erre avant de sauter sur la baume… du coup le bateau vire à tribord alors que je lutte désespérément pour le maintenir face au vent. Eric me hurle dessus, s’en suit une belle engueulade. On finit par partir. Là-dessus Eric reçoit un message iridium du chantier qui préconise que nous allions jusqu’en Floride pour faire les réparations. A ce stade, la perspective de faire 3 jours de navigation supplémentaires pour aller jusqu’à Miami me semble insurmontable. C’est comme si vous couriez un marathon et qu’à 1km de la fin, alors que vous n’en pouvez plus, on vous annonce qu’il y a encore 30km à courir, finalement… Gros coup au moral. Fin de journée, on se rapproche du mouillage et l’approche est de nouveau stressante avec aussi peu de fond. On doit enrouler le génois. Je fonce à l’avant bien décidée à faire les choses vite et bien, histoire de faire oublier ma boulette du matin. Résultat je me jette sur l’écoute d’enrouleur et je tire comme une brute. là encore, sentence immédiate: je ressens une douleur violente dans le bas du dos. Je finis d’enrouler. Je tente de me lever mais impossible. la douleur est trop vive. Je finis le trajet à quatre pattes, en larmes. Je craque. L’avantage, c’est qu’une fois que le vase a bien débordé, on peut recommencer à le remplir. Les jours suivants seront donc un peu plus sereins.
[Eric] Le jour suivant, le vent est avec nous et nous arrivons près de 2h avant la basse mer devant le redouté Pudding Cut. Le courant aussi nous est favorable.
On navigue à vue… et la vue nous dit qu’on devrait s’échouer. Mais ça passe. Nous voici désormais dans les Exumas, un archipel de dizaines d’îles coralliennes, pas ou peu habitées, qui s’étirent jusqu’à Nassau, la capitale des Bahamas.
On tente le mouillage de Rat Cay… mauvaise idée, on se rabat sur le mouillage de Lee Stocking Island.
Au matin, on sort délicatement de la passe en tirant des bords dans le fort courant (marée montante) et vent contre nous (on est parti pour plusieurs jours de vents forts). Aujourd’hui, nous naviguerons dans l’océan, le vrai, à l’Est des Exumas, contrairement aux jours précédents (et suivants) où nous naviguions à l’Ouest des îles, protégés de la houle.
Après 1 à 2h de navigation côté océan avec une vraie houle, on pénètre dans la passe de Farmer’s Cay Cut, on arrondit, on tombe les voiles (c’est délicat quand on n’a plus qu’un moteur…), puis mouillage à Little Farmer’s Cay.
[Aurélie] Dans la série fautes d’inattention: en arrivant à Little Farmer, Eric me rejoint à l’avant du bateau deux minutes que l’on repère ensemble l’endroit où nous allons mouiller… il marche en regardant au loin… et ne vois pas la trappe de la soute avant bâbord, béante…. J’entends un gros BANG, je me retourne et je vois Eric retenu par les coudes, le corps dans la soute. Heureusement qu’il a de grands bras et de bons réflexes. Il s’en sort avec un beau bleu sur la fesse, quelques côtes râpées, les coudes tuméfiés et un tibia décapsulé. Juste avant alors que je bougeais la câle du génois, Eric, pensant bien faire, lâche de l’écoute pour soulager la voile et me faciliter la tâche… sauf que j’étais en appui sur ladite écoute et que quand il l’a lâchée, elle m’a brûlée le mollet sur 5cm. C’est donc une bande d’éclopés qui débarque à Little Farmer.
[Eric] Je vais à terre d’un coup de dinghy. Pas de diesel ici, pas avant Staniel Cay. De l’essence (je complète le réservoir du dinghy). Un restaurant au « Farmer’s Cay Yacht Club ». Ça n’est pas très glamour. Le gars est sympa, mais sa proposition de buffet semble très moyenne.
Je termine le tour de l’île : il n’y a rien ici ou presque. Une église, une clinique, quelques maisons, une piste d’aviation, … mais pas grand monde.
Au matin, on remet ça. Le vent a encore monté (il a soufflé fort toute la nuit). Lever l’ancre et hisser la voile est devenu une tâche complexe dans cette situation dégradée. Beaucoup de stress (…).
J’estime que le vent souffle vers 25kts. Cette fois-ci on navigue à l’Ouest des îles, donc de nouveau protégé de la houle du large. L’eau est lisse… mais peu profonde ! Moutik file à 10kts et plus. On voit défiler les étoiles de mer…
Le vent monte encore, on arrive a Staniel Cay. On tire des bords de près pour revenir vers le mouillage.
Incroyable : l’endroit est populaire parce qu’il héberge la grotte immortalisée dans une James Bond (Thunderball / Opération Tonnerre), du coup c’est rempli de bateaux. C’est probablement la limite Sud au-delà de laquelle la plupart des bateaux ne s’aventurent pas.
Ici, on devrait pouvoir faire du diesel. Mais finalement, avec le régime de vent, nous n’allumons plus guère le moteur (hors des manœuvres), donc on doit pouvoir faire l’impasse, d’autant qu’il nous reste deux bidons de 25l (une poire pour la soif). Il reste environ 60 MN avant Nassau, soit 2 ou 3 jours au rythme actuel.
La grotte est sublime. On la visite à la marée haute ; il faut plonger dans un boyau pour ressortir dans la grotte. Les petites sont de vrais poissons : elles n’hésitent pas une seconde, elles plongent, nagent quelques mètres sous la voûte immergée et remontent dans la grotte. Elle est percée en son plafond d’un trou qui laisse voir le ciel. C’est de toute beauté. En plus, il y a des myriades de gros poissons qui vivent là (ils doivent être nourris par les touristes ?).
Staniel, c’est aussi une plage avec des cochons, immortalisée dans bien des photos de revues touristiques. Ils n’ont rien de sauvage ! Ils ont des citernes d’eau, ils sont grassement nourris par les touristes de passage, ils défèquent abondamment sur la plage… et puis, je suis désolé pour les clichés, un cochon ça ne se caresse pas (les soies sont dures), ça pue souvent, ça n’est pas particulièrement affectueux. Bon, on, ça fait le bonheur des petites… on ira plus souvent à la ferme.
Le mouillage est bon, et heureusement, parce que ce soir, ça souffle encore fort. L’équipage reprend du poil de la bête.
Le lendemain, même régime, on part assez tôt, pour une nouvelle navigation encore plus sportive. Là on prend un ris. Ca souffle comme un dément. On rejoint donc Warderick Well en 2 heures à peine.
Je commence à m’y faire à cet unique moteur… on mouille devant la jolie plage… un peu rouleur, mais ça ne nous fait vraiment plus rien. Je pense que bien des terriens s’en plaindraient… nous faisons ce qu’on fait tous les jours pour solder nos réserves de beurre et d’oeufs: des gâteaux ! Et du pain.
Le vent soufflera encore fort une bonne partie de la nuit. Mais on est super bien protégé, non du vent, mais de la houle. Deux fois, l’alarme de mouillage du téléphone sonnera. Deux fois je me lèverai, pour constater que c’est juste l’orientation du vent qui change et provoque un écart. Mais l’ancre tient bon, pour la énième fois cette année.
Au matin, je regarde l’horizon : à 30 MN, Nassau et un dernier défi : prendre une place de port avec un moteur, sans effrayer le personnel de la marina, …
Aujourd’hui, le coup de vent est parti. Il souffle tout au plus 10 à 12kts. Pendant qu’Aurélie se repose (elle s’est salement coincé le dos il y a 3 jours en roulant la voile d’avant…), je sors Dédé qui nous propulse aussitôt à 10kts. On gratte bateau, sur bateau… c’est tout de même bien un bateau à voile : même sans électronique, ça marche parfaitement.
Nos amis de MnMs (qui sont en train d’arriver devant l’ile de Flores, aux Açores) nous avaient recommandé Palm Cay Marina, ça tombe bien, c’est au Sud Est de l’île de New Providence (l’île de Nassau), nous nous dirigeons donc là-bas.
Arrivés dans le chenal de la marina, on appelle avec la VHF portable, en indiquant qu’on a un moteur qui ne démarre pas et qu’on aimerait bien une assistance en dinghy. Ça ne semble pas être une option. On nous indique qu’il nous faut prendre une place sur un « T » (dernière place au bout d’un ponton). On ne se démonte pas. De toute façon, il n’y a que peu de vent, qui devrait nous pousser directement sur le ponton. La manœuvre s’exécute à merveille. Voilà, Moutik est à quai. Nous l’avons ramené à bon port, maintenant nous le laissons aux bons soins des « médecins ».
Justement, j’appelle le motoriste : il sera là dans une heure pour constater la situation.
Juste le temps d’avaler un burger (oui, ici pas de grande cuisine… on est aux USA ou presque).
Le type, Justin, arrive. Sympa. Il jette un œil, mais le diagnostic est déjà connu : boitier MDI (fondu), faisceau (fondu), démarreur (fondu), alternateur, afficheur. Et en partie la même chose de l’autre côté, car si le moteur fonctionne, il ne charge plus la batterie et l’afficheur est mort.
Et puis il faut bien s’occuper, alors je prend 4 « memberships », pour avoir accès à la piscine et à la plage privée : on a peut-être une semaine à tuer ici…
Que s’est-il passé ?
La foudre a touché le sommet du mât. Nous avions là-haut 4 antennes : VHF (radio de bord), AIS (transpondeur et récepteur), FM (autoradio), 3G (pour l’Internet mobile). De la première et la seconde, seuls demeurent les supports métaliques. La troisième a son sommet éclaté et tout noirci. La quatrième semble intacte, sauf qu’au lieu d’être blanche, comme à l’origine, elle est noire…
L’arc électrique est descendu comme il a pu : dans l’étai avant (le tube d’enrouleur) et dans le mât… mais également dans les fils d’antenne. L’étai est formé de tubes en aluminium percés de trous aux raccord ; à chaque trous un arc électrique a brûlé la voile d’avant ; elle ne se déchirre pas, mais la maille doit être fragilisée. Quant aux câbles d’antenne, ils ont conduit la décharge dans les appareils : radio VHF, boitier AIS, boitier routeur Wifi, 2G, 3G, autoradio… et tous ces appareils sont connectés au réseau NMEA qui transporte les informations de navigation : tous les appareils électroniques, même ceux qui n’ont pas d’antennes, ont grillé. Au sommet du mât, il y a aussi des feux de navigation, donnant accès au réseau électrique… des dizaines de fusibles ont sauté… mais trop tard, le mal était fait.
A travers le réseau électrique, la foudre a atteint le boitier MDI du moteur tribord, qui contrôle le démarrage et remonte les paramètres aux afficheurs. Le boitier MDI, c’est en gros un relais qui lance le démarreur et qui se rouvre lorsque le moteur tourne. Sauf que le boitier a pris trop cher… le relais est resté enclenché, le démarreur a continué d’être alimenté tout en étant entraîné par le moteur. La batterie s’est totalement vidée, le démarreur a surchauffé, les fils ont rougi et ont perdu leur gaine : tout cela cramait dans la soute moteur.
Au passage, des appareils plus sensibles n’ont pas survécu : moteurs des frigos, ampoules à LED, etc.
Qu’aurait-on pu faire de mieux ?
Honnêtement, pas grand chose. Pour avoir (depuis) reçu des récits de pareils événements, la sentence est toujours très lourde : les paratonnerres en voilier, ça n’existe guère, l’électronique est toujours la première victime et rarement la dernière…
Par contre, il y a ce qu’on a bien fait :
Outre la cartographie électronique du traceur du bateau, nous disposons de 2 tablettes (Androïd) et 1 téléphone (Androïd) équipés de l’application Navionics (elle est particulièrement bonne aux Bahamas, depuis que Navionics a acheté Wavey Line, le spécialiste de la zone). Et je suis un maniaque : je mets l’appli et la carto à jour dès que nous avons une connexion WIFI. Grace à cela, nous n’avons pas navigué à l’aveugle, nous avions des indications nprécises de marées, etc.
Notre Iridium Go! (communicateur satellite) est parfaitement fonctionne, là aussi avec les applis configurées sur tous nos appareils, de sorte qu’on a la téléphonie, les SMS, les emails et la météo (j’ai un abonnement PredictWind). Une fois de plus, je plaide pour l’Iridium Go!, vraiment pratique, multifonction et parfaitement interfaçable avec PC, tablette, téléphone, quelque soit le système d’exploitation.
Au début de notre voyage, au dernier moment, je m’étais décidé et j’avais installé un pilote de secours. Il était démonté et soigneusement rangé dans une soute, donc insensible à la foudre. De plus, c’est un pilote autonome, non dépendant des périphériques de navigation (il a sa propre boussole interne). Il nous a bien soulagé d’heures de navigation où nous aurions dû tenir la barre, en plein soleil, …
Et nous connaissions bien notre bateau, pour savoir où intervenir. De plus, j’avais chargé un minimum d’outillage électrique (à commencer par le multimètre (x2), la pince à dénuder) et du fil électrique, des cosses à sertir, quelques ampoules de rechange. Manque notable : une pince ampèremétrique en courant continu (rare est cher, mais bien utile), des interrupteurs de base, pour éviter, comme c’est le cas aujourd’hui, de faire toucher des fils pour allumer la lumière (bon, c’est un peu mieux, il faut connecter des cosses).
Le S.A.V. Outremer
Quand on a choisi ce bateau, c’était un des arguments avancés par le chantier : « on a un vrai SAV, une équipe dédiée, ils seront avec vous, …« . Reconnaissons-le, cette promesse, à l’époque, n’engageait que celui qui l’écoutait : aucun vrai moyen de tester ce service.
Durant les mois qui ont précédé, nous avions eu un petit aperçu du service : il nous fallait des pièces difficiles à trouver (pré-filtre diesel…) et Outremer a su nous en envoyer aux Antilles ; des filtres au charbon actif défectueux, là aussi, des pièces livrées en Martinique chez un correspondant Outremer.
Par ailleurs le chantier a toujours assumé ses responsabilités sur des organes défectueux : ces fameux filtres à charbon, le siège du pilote qui branlait, etc. : nous n’avons pas déboursé un €uro !
Et ici, avec la foudre ? Quelques minutes après le coup de foudre, j’ai transmis un message à Outremer, il était 1h pour nous, 7h du matin en France… un dimanche. Moins d’une heure plus tard, j’avais la personne de permanence au téléphone… c’était son anniversaire… Cette présence a été un immense remontant.
Dans les jours qui ont suivi, le chantier a tout mis en oeuvre pour : 1/ nous rassurer, 2/ nous venir en aide pour diagnostiquer, bricoler, … mais surtout 3/ pour prévoir l’après : contacter Volvo pour avoir l’état des pièces disponibles à Nassau, recommander un mécanicien diesel sur place. Et au-delà : envisager les réparations, en Floride ou en France, mener les discussions en direct avec notre assureur… jusqu’au skipper, dont la prestation était annulé, qui nous assurait qu’il répondrait présent, même plus tard dans la saison.
Je sais qu’ils n’aiment pas forcément qu’on en fasse trop, mais pourquoi mentir ? C’est, jusqu’à présent, un sans faute, une vraie mobilisation, un soutien tellement appréciable.
Et après ?
Maintenant, il faut réparer et ramener le bateau. Plusieurs scénarios se présentent, qu’il faut chiffrer et présenter à l’assureur/à l’expert pour arbitrage :
- réparer le bateau aux USA, avec des techniciens locaux, mais avec 1/ une main d’oeuvre chère et 2/ des compétences rares sur la partie réseau électrique switché, le chantier sera difficile à suivre (on ne sera plus sur place) et après il faudra acheminer le bateau en France par skipper, probablement très tard dans la saison pour une transat du Ouest-Est (cyclones et à l’inverse, un anticyclone des Açores garantissant parfois trop de calmes)…
- réparer le bateau aux USA, avec un technicien d’Outremer envoyé sur place pour la partie électrique. Là aussi, c’est compliqué, car Outremer est un petit chantier et chaque main compte, surtout en début d’été, là où la plupart des unités sont livrées ; et en plus, l’électronique devra attendre que l’électricité soit rétablie… et puis convoyage à l’issue, là encore très tard, voire à l’automne !
- amener le bateau en France, par cargo, et le réparer au chantier. C’est de très loin préférable : le chantier Outremer fera ça mieux et plus vite, avec toutes les compétences à disposition… mais un cargo, c’est 30 à 35 KUSD… l’arbitrage sera-t-il favorable ? A suivre !
6 commentaires
Ktou
Je suis sans voix. A la fin du précédent message, je ne pensais qu’à votre état physique, pas à celui de Moutik.
Et là je comprends le drame…
Mais que c’est bien raconté, à deux voix: on suit tout parfaitement bien: chutes de moral et remontées, gamelles variées. Je n’ose pas dire que c’est un plaisir car pour vous ce n’est pas une partie de plaisir, mais cela vaut bien des romans d’aventures.
Courage : nous croisons les doigts pour qu’une solution convenable puisse se présenter. Bravo aussi aux filles.
Gérard
Pris par mon déménagement, j’avais laissé s’accumuler les mails. Aujourd’hui, grand ménage. Les spams et pubs à la corbeille. Restent les importants, notamment les vôtres. Alors j’ai tout lu d’une traite.
Ô comme j’imagine ces moments de solitude, ce noeud au ventre et cette tristesse poignante devant le désastre dont on ne mesure pas encore l’ampleur. Et puis bravo, vous avez repris le dessus et j’imagine combien ça n’a pas été évident (toutes vos erreurs soldées par des blessures sont le reflet de la préoccupation qui embolisait vos esprits. Et vous avez montré que vous êtes de vrais voileux capables de gérer à la voile ce que le monde moderne s’ingénie à nous faire oublier. Tout ira finalement bien : le matériel se répare ou se remplace. Et peut-être qu’un jour cet épisode restera comme un moment finalement positif car surmonté.
Bravo et MERCI pour avoir néanmoins poursuivi la rédaction de ce blog qui maintient le fil qui nous relie à vous. Profitez encore de ces beaux moments et lieux. Je vous embrasse très affectueusement
Laurence de Lav
Mince, super mince, je n’imaginais un tel scénario. Un peu « bateau » comme remarque, mais heureusement cela vous est arrivé à la fin de votre séjour : cela n’a pas remis en cause toute votre épopée, et vous connaissiez bien le bateau.
Il faudra que je relise tranquillement (car là je lisais à toute vitesse pour connaître le bilan), car je n’ai pas bien compris comment un moteur peut se mettre en route tout seul, puis cramer.
J’espère que vos bobos vont mieux. Vous êtes des champions. Un grand bravo aux filles aussi.
Gros bisous.
Agathe
Je termine ma lecture à l’instant: entre Pêcheurs d’Islande pour la nav. stressante à vue et un bon Pierre Richard pour les gamelles en série mais finalement tout va presque as trop mal- vous avez évité Titanic!! Quel plaie qd même!! Brune et Léo: bravo, vous avez eu l’intelligence de la situation et ainsi évité les foudres (haha) de vos parents stressés et tendus comme deux strings!! Allez courage, Moutik reste entier même si un peu blessé (comme vous!) : ça fera des souvenirs en plus!! On attend la suite…. et je garde espoir que vous puissiez encore profiter de Moutik avant le grand retour. Bizzz
flo
OLALALAAAAAAA j’ai halluciné ! Et moi qui stressais d’avoir un pneu a plat sur mon Van / Et d’être content car ce n’était qu’une histoire de valve à 1€50 ! Bon, j’espère que vous allez bien et que vous vous etes remis de l’expérience parce que j’imagine que sur le moment vous avez du vous faire dessus. Bravo pour votre courage et vos bonnes réactions ! En tout cas si vous avez besoin, on peut vous envoyer un Combi VW. Avec des pneus assez épais pour pas prendre la foudre, et au cas ou… Ca ne grillerait que l’horloge sur le tableau de bord !
Vincent R
Oh my god… Quelle histoire ! Vraiment désolé pour vous.