Les navigations

République Dominicaine

Traversée de nuit

On quitte Puerto Real, Porto-Rico et l’accueillant José vers 16h. Cela fait longtemps que nous n’avons pas navigué de nuit… ça fait un petit nœud au ventre. Pour commencer, il n’y a pratiquement pas de vent, mais on sort la grand-voile pour ne pas avoir à s’en occuper plus tard, une fois la nuit venue.

Comme recommandé, nous longeons Porto Rico vers le Nord : à l’Ouest c’est la Rép. Dom., mais ce bras de mer, le Passage de la Mona, du nom d’une (très belle) île (déserte) qui y campe, est un de ces lieux redoutés des marins : des courants, des marées, des fonds qui remontent brutalement de -4000 à -50, bref, de quoi soulever la mer et secouer le marin.

Pour couronner le tout, c’est en plus une zone qui concentre les orages.

Justement, depuis quelques jours je surveille les prévisions pour nous lancer dans cette traversée sous les meilleurs auspices.

La nuit tombe, il n’y a personne… sauf un écho radar d’un bateau rapide sans AIS (le radar nous permet de suivre un écho et de mesurer sa vitesse, sa direction, un peu comme s’il était équipé d’un AIS). Trop rapide pour un pêcheur, c’est plutôt la marque des gardes côtes. Car ici ça ne plaisante pas, on est en pleine zone de trafic de stupéfiants. D’ailleurs, quelques minutes plus tard, un hélicoptère nous survole avec son projecteur : notre AIS est allumé, notre clearance a été effectuée quelques heures plus tôt : ils doivent nous reconnaître. J’appelle à la VHF, demandant des instructions… silence radio : on poursuit.

En début de nuit, on a droit au spectacle de la bioluminescence. Il y en a de deux types. Celle qui fait des petites étoiles, un peu comme les éclairs des vers luisants et celle d’organismes bien plus petits, qui forme dans l’eau des nappes lumineuses bleutées, comme ce soir. C’est assez incroyable… mais impossible à photographier : la lueur est trop faible.

Un peu plus tard, arrivé au Nord de P.R., on incline la trajectoire vers l’Ouest. Nous ne sommes plus protégés par la côte à l’Est et le vent se lève… fort. Ça promet d’être une nuit… rock-n-roll !

Un nouveau pays, encore !

Au matin, on est effectivement fatigués. On a peu dormi. Mais on a bien avancé et on a évité les grains et les orages.

Les côtes vierges de la R.D. apparaissent. De ce côté, c’est très sauvage. Il n’y a pas une maison. Puis, eu peu plus au Nord, on pénètre dans le grand golfe de Samana.

Comme nous ne sommes pas assurés (ici non-plus…) et que l’endroit n’a pas toujours bonne réputation (ça n’est sans doute pas totalement justifié), on s’est juré de n’aller que dans des marinas “protégées”. Là, on vise la Marina Puerto Bahia, conseillée par des navigateurs rencontrés et qui en venaient.

On est vraiment dans les “Grandes Antilles”, les mégas-îles. Les distances sont grandes et on n’en fini plus de s’enfoncer dans cet immense golfe dont on voit à peine la côté Sud lorsqu’on longe la côté Nord.

Ça y est, la marina approche. Un appel radio : oui, il y a de la place pour nous !

On passe les enrochements, on entre et on s’installe là où l’on nous désigne un emplacement.

Je me charge des formalités, finalement plutôt simple ici contrairement à ce qu’on nous avait dit sur la R.D. : certes, au lieu d’un guichet unique, il faut voir 4 administrations (l’immigration, la douane, les gardes-côtes, la marina), mais tout est réuni dans le même bureau, on passe juste d’un interlocuteur au suivant. Assez remarquable, les types ne demandent aucun “pourboire” ou “propina” (c’est plutôt rare car c’est paraît-il une tradition en R.D.).

Il règne ici une drôle d’ambiance. C’est un complexe marina+hôtel+bungalows+2 piscines+3 restaurants+… mais l’endroit est totalement mort.

Au restaurant le soir, nous ne sommes que 2 tables ; dans l’une des piscines nous serons toujours les seuls et dans l’autre il y a principalement les occupants des deux ou trois voiliers amarrés près de nous ; au bar le barman n’a que nous à servir.

Une piscine, pour nous seuls
Moutik, à droite

On nous dira que ce genre de complexe est typiquement une opération de blanchiment : argent de la drogue investi pour la construction, appartements revendus, fonctionnement minimal pour l’entretien (la main d’oeuvre est bon marché, il suffit de quelques revenus pour payer barmans, jardiniers, …).

Sortons du ghetto !

Après un jour tranquille, nous louons une voiture : mission courses. La R.D. est notre dernière étape avant les Bahamas où l’on ne trouveras rien ou quelques très rares échoppes vides et hors de prix.

Le paysage en dehors du complexe est très différents. Les petits villages se succèdent le long de la route, pleins de vie et de musique. C’est très rural et prometteur pour nos courses : manguiers, cocotiers, champs, à perte de vue. La route est peuplée de 2 roues et de petits chevaux robustes avec leurs cavaliers.

On arrive à Las Terenas, jadis (années 60-70) une destination hippie, désormais petit îlot de tourisme raisonné (on n’est pas à Punta Cana…). Il y a ici un supermarché (monté par un français) qui est plutôt approvisionné en produits qui nous sont familiers et à des tarifs raisonnables.

Au retour, on s’arrête au niveau du Salto El Limon. Négociation. C’est parti pour 20-30 minutes à cheval jusqu’à la chute d’eau. Le petit chemin se faufile dans la forêt, dans un torrent, sur une crête, puis on met pieds à terre au bout d’un promontoire. Nos guides nous indiquent qu’il faut terminer à pied, pour quelques minutes de marche. On arrive à la chute, au débit limité en cette saison. Quelques familles font trempette dans le décor verdoyant.

“Propina” distribuée aux gamins-guides, nous retournons à l’auto, toujours sur le dos de ces braves bêtes un peu faméliques.

El Valle

Après 3 jours à la marina, c’est jour de départ : ce matin le vent a enfin baissé et c’est tant mieux, parce qu’on l’aurait de face pour sortir de la baie de Samana. Je passe faire les formalités et payer la marina. J’entrevois le cauchemar du “despacho” : ici, en R.D., il faut faire des formalités chaque fois qu’on quitte un mouillage/un port et qu’on arrive à un autre… et en dehors des marinas un peu modernes, on a affaire avec des fonctionnaires qui monnayent leurs services ! Ici, c’est assez simple… sauf qu’il faut attendre que les fonctionnaires des différents corps soient présents : on les appelle, ils annoncent qu’ils arrivent, on attend, … bref il ne faut pas être pressé.

On se met en route et ça n’est pas trop tôt : le vent commence déjà à fraîchir. On progresse au près, à environ 12kts (un catamaran très toillé monte vite en vitesse notamment au près, ce qui n’est pas favorable au cap, car la vitesse augmente le vent apparent obligeant à céder du cap).

On contourne la pointe NE, de l’île et on file se réfugier dans la petite baie de El Valle. Havre de paix, jolie plage : nous sommes seuls. A terre il semble y avoir un petit bar-restaurant avec quelques rares clients qui se promènent sur la plage. J’y jetterai un œil, mais ça n’a pas l’air fabuleux…

On va y rester toute la journée et la nuit du lendemain.

Aujourd’hui c’est mon anniversaire : câlins des petites, cadeaux et petit déjeuner au lit !

Les filles se régalent sur la plage : d’une petite cavité dans la falaise sort de l’eau douce et fraîche qui trace un court ruisseau dans le sable jusqu’à la mer. Elles barbotent durant des heures dans cette belle eau claire. Je ramasse des noix de coco.

“Ocean World Marina”

[Rien que ce nom, ça promet !]

Étape suivante : on rejoint, sur la côte Nord, Ocean World Marina. Les mouillages devant les villes nous ont été déconseillés, car on doit y faire les formalités (à El Valle, il n’y a même pas de village, donc il n’y a bien sûr aucune administration), donc s’acquitter d’une “propina”… parfois chère… et ça n’est pas toujours sûr.

Dès le matin, les dauphins au rendez-vous

Après une journée entière à la voile dans des conditions musclées, avec 25 à 27kts de vent et une houle formée, on arrive en vue d’Ocean World. L’endroit était décrit comme un “Las Vegas like”, avec un spectacle de dauphins, un parc aquatique, un casino, etc.

En fait, il y a une pauvre otarie dans une minuscule arène, un parc aquatique désespérément vide et un bâtiment qui ressemble à un gâteau de mariage, qui doit contenir de sordides machines à sous fréquentées par des retraités américains désœuvrés.

L’entrée de la marina est… sportive. Les conditions de vent et de mer sont très soutenues ce soir. Un banc de corail menaçant bordé l’entrée. On se faufile soigneusement entre les bouées… la mer est blanche. Une fois à l’intérieur, l’eau est enfin calme, mais un bon 20kts de vent persiste. Un type en treillis militaire (le planton garde-côtes) nous fait signe et nous indique une place qu’un skipper professionnel ne tenterait même pas. Je ne l’écoute pas, d’autant qu’ici on n’est pas assurés ! Je prends le premier ponton que je peux atteindre en restant vent de face et je dépose Moutik “long-side” et en douceur, grâce à l’aide d’un type qui bondi hors de son Nautitech Open 40, parlant français, pour nous filer un coup de main.

Le garde-côtes arrive, souriant, et semble satisfait de cet emplacement. Ouf ! Il monte à bord, demande trois papiers (copies des passeports, des papiers du bateau, despacho du port précédent, …) et nous indique que les formalités seront à effectuer demain matin.

Après son départ, on invite notre voisin et son épouse pour un petit apéro. Pete et Bambou. Il est suisse, elle est française. Il a revendu son affaire (un restaurant à Verbier) et ils se sont installés pas loin d’ici, à Cabarete. Ils ont une petite affaire et sont à fond dans de kitesurf.

On passe une super soirée : c’est toujours sympa de socialiser !

Le lendemain, Pete repasse à la marina. Il a quelques trucs à bricoler sur son bateau amarré temporairement ici, puisque sa base normale est Puerto Bahia… mais avec le vent actuel, remonter la côte Nord vers l’Est serait une torture, on est bien heureux de l’avoir fait dans l’autre sens !

Aussitôt, il nous propose de nous emmener au supermarché voisin. Banco ! Je file avec lui au “Jumbo”, où je complète notre inventaire : ananas, mangues, bananes, plantains, cocos, avocats, concombres, courgettes, fromages, etc. Tout ne tiendra peut-être pas, mais on n’aura pas le regret de ne pas en avoir pris assez. Pour les fruits et légumes, la R.D. est un pays de cocagne !

Je lui épargne le retour (ça n’est pas son chemin, il retourne à Cabarete) et il me négocie un taxi.

Pete est adorable. Grâce à lui on a les frigos pleins, j’ai également trouvé des bidons pour du carburant, en prévision de la Transat retour du skipper, qui s’effectue un peu tard dans la saison, et pourrait lui réserver quelques anticyclones piégeux où le moteur devient un mal nécessaire.

Le lendemain matin, on se réveille un peu tard (8h30). Je voulais partir rapidement… c’est mal parti. Il faut faire les formalités, faire le plein, payer la marina, mettre le bateau en condition pour une traversée (env. 24h jusqu’aux Bahamas), … mal barré on risque de ne pas partir avant midi. Décision prise, on retarde d’un jour, d’ailleurs le vent est loin d’être calmé et l’équipage commence a sentir l’accumulation des navigations musclées des derniers jours.

J’en profite pour démarrer les formalités et ranger le bateau. Demain il nous restera un minimum de chose à faire et on partira vite.

D’ailleurs on s’en félicite : toute la journée il y a un vent très soutenu et la houle explose contre la digue de la marina en fracas terrifiant. L’air est salé.

Au matin suivant, on largue enfin les amarres. Nous avons tout de même un regret : la R.D. mériterait une bien plus longue escale. L’intérieur de l’île est super agréable, vert, … et la population absolument adorable.

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2 commentaires

  • Kino

    Difficile pour le marin d’eau douce que je suis , en regardant vos photos d’imaginer les difficultés de navigation ! je ne vois que de petits paradis et de belles balades et des belles voyageuses joliment couronnées ( les filles vous m’apprendrez à en faire cet été ?) un papa gâté ….
    je sais , difficile de rendre en photos les furies atmosphériques , et ma tête a du mal à visualiser les longues descriptions de manœuvres …. après tout cela évite les inquiétudes ;o)

  • Agathe

    Le recit commençait de maniere inquietante et a conservé un faux rythme etrange (marina à la coco, orages qui menacent et s’eloignent, …) et ce malgre les superbes photos….tout cela n’augurait rien de bon – puisque je lis en décalé avec des infos sur la suite….!

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