For the first time, the best night crossing*
*: de Moutik, testée in vivo par un équipage de 4 personnes entre 5 et 50 ans, pendant 16h.
(désolée, private joke pour mes anciens collègues L’Oréalien…)
Notre dernière traversée de nuit remonte à 2013. Une nuit passée entre les Jardins de la Reine et Cayo Largo dans les eaux cubaines. Une nuit où j’ai découvert ce qu’était la peur en bateau et où j’ai failli rencontrer la foi. Une nuit sans lune, par 40 noeuds de vent avec des creux de 3-4m, un bateau dans lequel nous n’avions absolument pas confiance, une VHF défaillante et personne à qui parler à l’autre bout de toute façon, aucune donnée météo, un radeau de survie inopérant et des fusées de détresse périmées…. bref il n’aurait jamais fallu monter sur ce bateau mais nous l’avons fait.
Donc, quand en ce 28 Juillet nous quittons Porquerolles pour rejoindre la Corse, tous les souvenirs de cette nuit cubaine me reviennent et je n’en mène pas large…
Pourtant toutes les conditions sont réunies: c’est la pleine lune, le ciel est clair, le vent est modéré (10 à 15 noeuds), la houle formée mais pas trop cassante, j’ai entièrement confiance dans le bateau, notre bib et nos fusées de détresse sont neufs et j’ai testé 10 fois la VHF avant de partir…
Malgré ça, je tiens la barre à roue comme si c’était un volant de F1, j’envisage une prise de ris à la moindre risée et je flashe (on a une lampe puissante) nerveusement la moindre ombre que je vois sur l’eau de peur que ce soit un nageur (ben oui, un baigneur à 6 miles des côtes en pleine nuit, c’est courant….), un container (probabilité à peu près aussi élevée de croiser un container qu’un baigneur à 6 miles des côtes en Méditerranée…), un tronc d’arbre centenaire ou, de façon un peu plus pragmatique, un des nombreux casiers de pêche qui jonchent les fonds marins à cet endroit (« cons de péchous », spéciale dédicace à Julien).
Bref je prends mon quart tendue comme le string d’Emily Ratajkowski.
Vingt minutes plus tard, ayant enfin intégré que, oui, les vagues font des ombres et que ce n’est pas grave, que 12 noeuds de vent n’ont jamais fait chavirer personne et qu’un paquebot ça se voit de loin, je me détends et là, cette nuit prend une nouvelle dimension.
Bon, petit rappel à l’ordre tout de même lorsque je vois arriver sur nous un énorme paquebot (ça ne se voit pas si loin que ça finalement…) et que je réalise qu’il est à moins de deux miles de nous… (Oups j’avais réglé le radar sur un périmètre de 1.5 miles vs les 4 recommandés par le capitaine). Petit « Eriiiiiiic » fébrile, un coup de barre à babord en prenant soin de ne pas empanner et tout est rentré dans l’ordre.
Je m’assois enfin dans le fauteuil de pont et je savoure.
Difficile de décrire ce sentiment de plénitude absolue.
Le ciel et la mer ne font qu’un dans un magma mouvant et bienveillant. Je me sens enveloppée. Toute petite chose faisant partie d’un très grand tout. Bercée par les ondulations de l’eau et de la lune qui s’y reflète. Maintenue éveillée par le vent qui veille. Portée par Moutik qui à cet instant devient plus qu’une maison flottante.
Je suis de quart de 22h jusqu’à 2h du matin. Ces 4 heures passent sans que je ne m’en aperçoive. J’hésite presque à réveiller Eric qui dort sous un amas de petits bras et petites jambes dans le carré.
On se retrouve tous les deux sur le pont au milieu de cette nuit et on savoure, ensemble.
Bon la suite est un peu moins glamour.
J’ai eu beaucoup de mal à m’endormir et quand Eric vient me sortir du lit à 5h du matin, avec un énorme sourire et beaucoup de douceur (il me connaît) je ne l’accueille pas qu’avec l’haleine du dragon…
Il tente de me vendre la chance que j’ai de pouvoir avoir le lever de Soleil pour moi toute seule… alors comment vous dire…. moi le lever du soleil ça n’est définitivement pas un fantasme.
Le coucher de Soleil est beaucoup plus compatible avec mon horloge biologique interne, sauf à n’avoir pas du tout dormi de la nuit et pour de bonnes raisons, auquel cas je peux concéder un certain charme au lever de Soleil. Mais soyons honnêtes, à 40 ans passés ce genre de conditions sont rarement réunies et donc je persiste: le lever de Soleil a un intérêt parfaitement limité après 2h de sommeil.
Le dernier quart fût donc un peu plus longuet que le premier mais je prends mon mal en patience et à 8h je suis « Libérée, délivrée »…. enfin je pensais… puisque c’est pile à cette heure là que les deux petits estomacs sur pattes qui me servent de progéniture ont eu l’idée de se mettre à chanter « Libérée, délivrée » en faisant des grands jetés sur la couchette du carré et en demandant « quand est-ce qu’on mange?? »…….. »rrrhon piiiiccccche rrrhon piiiiicccche »………… « Maaaaaman, on sait que tu ne dors pas!!! »…. grillée…. va pour le pain grillé.