Habibas… l’impasse ?
06/10 – Direction les Îles Habibas
A une vingtaine de miles à l’Ouest d’Oran, il y a les Îles Habibas. Deux îlots rocheux et désolés, réserve naturelle et site inscrit au patrimoine de l’Unesco. Notre guide nautique en fait l’éloge : c’est une courte navigation, ce sera notre halte pour baignade, mouillage sauvage, visite du phare au sommet, …
La ligne est lancée : par deux fois nous remontons une belle bonite. Ça suffira, à ce rythme nous allons devenir poissonniers.
Les îles approchent. C’est un amas rocheux. Au sommet du plus grand se trouve un petit phare, mais suffisamment grand pour qu’il y ait une habitation avec un gardien en principe.
Nous appelons les garde-côtes de multiples fois : pas de réponse !
Alors nous rentrons dans la passe Sud-Ouest, bien protégée du vent d’Est, et nous jetons l’ancre.
L’endroit n’est pas la définition même du paradis. Certes le mouillage est bon, l’ancre est bien prise, l’eau est transparente. Mais la petite plage qui ourle le fond de la crique est assez misérable, l’île est plutôt désolée, les oiseaux sont ici les rois et ils le font savoir. En plus, les eaux sont saturées de … méduses. Et de celles dont Léonie a déjà par deux fois fait les frais : la méduse pélagique à la piqûre traîtresse.
Mais ne faisons pas les fines bouches : ce mouillage du bout du monde vaudra 1000 fois les mauvais ports de commerce.
Mouais… sauf qu’une sirène deux tons retentit : une petite embarcation de garde-côtes approche. On ne l’avait pas vu celui-là, il devait être planqué dans les rochers. Son mégaphone crachote un truc incompréhensible, qui plus est, probablement en arabe.
Nous avons beau lui faire des signes, il ne s’approche pas ! Le message semble néanmoins clair : on ne veut pas de nous ici. On lève l’ancre… on s’approche… dans un mauvais français on comprend que l’île est désormais réserve totale : tout mouillage est à proscrire. Nous devons poursuivre notre route.
Aurélie n’est pas hyper rassurée de faire route de nuit (il fera nuit dans env. 1 heure). D’autant qu’il y a plusieurs obstacles durs à repérer : les pêcheurs… et les embarcations de clandestins. Durant la journée, la radio n’a cessé de cracher des messages à propos de 3 embarcations à la dérive à quelques dizaines de miles d’ici, entre Maroc et Espagne.
La police nous oriente donc vers Bou Zadjar, un petit port de pêche qui devrait nous accueillir, à une heure de là.
Qui perd… perd !
La baie de Bou Zadjar approche. Il y a une petite baie très fermée bordée par le petit village. En Corse nous y serions allé… là, c’est mal cartographié et puis on a toujours en tête les arguments de « sécurité » des autorités : mieux vaut rester loin de l’affluence.
Juste après il y a une plus grande baie, bordée d’une longue plage avec quelques épis d’enrochements artificiels puis la baie se termine par le port de pêche de Bou Zadjar, bien protégé par une longue digue de blocs de béton.
Des bateaux de pêche commencent déjà à sortir du port : c’est décidé, on va préférer le mouillage devant la page plutôt que le port ! L’ancre tombe, glisse, puis finit par prendre bien fermement. La nuit tombe, nous préparons le dîner.
Il est à peine 20h : une sirène deux tons retentit pour la seconde fois aujourd’hui. Dehors, un gyrophare est à 10m de nous… Aie… Que se passe-t-il encore ?
– Bonjour, garde-côtes, vous ne pouvez pas rester là ! Ça n’est pas bon pour votre sécurité. Vous devez entrer au port.
Et voilà… Alors on interrompt le dîner, on va relever l’ancre. Sauf que la chaîne remonte et d’un coup se tend, raide comme un câble : on a croché quelque chose, un câble ou quelque chose comme ça. La manœuvre dure ; on y voit rien ; le semi-rigide des garde-côtes observe sans broncher ; avant… arrière… et puis enfin, l’ancre se libère et remonte propre.
Dans le noir complet nous suivons le semi-rigide. Nous entrons dans le port à sa suite. Avant même l’entrée, l’odeur de poisson est… puissante, très très forte, elle prend à la gorge. Ça s’annonce… viril ! Dans le port étriqué, il n’y a que des petits chalutiers. Le va-et-vient est incessant.
Les garde-côtes nous désignent le quai proche de la station de gasoil. On s’approche. C’est pestilentiel. Le quai est protégé par des grappes de pneus usagés. De vieux cordages pendent dans l’eau. Le tout est recouvert d’une purée de poisson : des têtes, des queues, de la chair, le tout en décomposition avancée. On a le nez dans l’anchois pourri.
Avec la pourriture viennent les mouches. Des nuées de mouches.. On est envahi.
Comme c’est la station de gasoil, les fûts s’alignent négligemment sur le quai. S’ajoute à la soupe de poisson pourri, les vapeurs de gasoil. C’est littéralement à gerber ! Les petites s’enferment dans le carré, le nez dans un coussin, pendant que nous lançons nos amarres sur le quai (beurk) et que nos pauvres pare-battes, déjà malmenés ces derniers jours, se maculent du mélange visqueux qui ferait renaître un mort en état de décomposition avancée.
Cerise sur le gâteau : ce ne sont ni une, ni dix, ni cent… mais bien des milliers de bouteilles en plastiques et cagettes en bois qui flottent sur l’eau.
C’est dégueulasse, c’est sale, c’est infâme, c’est négligé, ça file la nausée. J’ose, je donne mon avis : cela n’enlève rien à la gentillesse et à l’accueil sincèrement agréable et désintéressée des algériens, mais disons-le, ils n’ont aucun respect, non seulement pour la mer, mais tout simplement pour leur environnement de vie et de travail. Depuis notre arrivée nous le constatons : les ordures jonchent les ports, les bas-côtés, les forêts, les rues. Pourtant les poubelles existent et le ramassage n’est pas inexistant. Mais l’algérien ordinaire est habitué à décharger ses déchets là où il se trouve. Dans les ports, c’est donc par dessus bord. On pourrait, sans mentir, construire un ponton avec les bouteilles qui flottent. J’en pleurerais presque tellement c’est inadéquat avec la gentillesse de ce peuple.
Les autorités viennent au bateau. Bonne nouvelle : elles seront bien allégées (le port n’a pas une foule de fonctionnaires). Le type va cependant conserver les originaux des passeports, qu’il nous rendra demain matin avant notre départ.
Les portes et fenêtres restent hermétiquement closes pour ne pas terminer transformés en sardines boucanées. L’atmosphère devient chaude et humide.
La nuit sera pénible : la pêche est au pic de son activité du soir au matin. Les bateaux viennent se ravitailler en gasoil, les types s’invectivent, les moteurs manœuvrent… Plusieurs fois je me lève pour vérifier que rien ne menace notre cher Moutik.
Au petit jour, un des pécheurs semble vouloir la place : c’est la sienne. Il nous demande de partir séance tenante. C’est avec plaisir que nous nous exécutons : nous ne comptions pas demeurer un instant de plus dans ce cloaque. Direction Ghazaouet (ex-Nemours).
3 commentaires
Agathe
Alors on se régale toujours, mais, heureusement, on se contente d’imaginer les odeurs…. biz
Delepau
Ce sont les restes de la colonisation puisque nous somme en pleine période de repentance !!!
Ne restez pas là bas !!!
Laurence
Tout est incroyable: que vous soyez aussi surveillé, l’etat des ports (reflets de l’économie ?), l’etat des eaux, la corruption et heureusement l’accueil des habitants.
Moi qui croyait que l’Algerie regorgeait de petites plages secrètes et préservées.
Peut-être vers la Tunisie ?!
Bravo pour vos récits où l’on ressent la lumière, les odeurs, le bruit, les rires gras, les sourires sous-entendus (toi, tu vas racker) et les sourires lumineux (qu’elles sont mignonnes ces petites filles).
Bises