Les navigations

Dahkla – Cap Vert

06/11 – Vite, fuyons !!

J’ai mis le réveil à 7h00 du matin. D’ailleurs je commence à mélanger toutes les heures : celles de la France, celle des Canaries, celle du Maroc, l’heureux UTC pour la météo, … et en plus, le changement d’heure vient d’avoir lieu…

Mais ça n’est pas le réveil qui me sortira du sommeil : la veille au soir, je suis allé voir les policiers pour demander une faveur : qu’ils me tamponnent les passeports de suite, afin qu’au petit matin je ne sois pas obligé de prendre ma bicyclette pour remonter le pont [le poste de police n’est pas au port, mais à terre]. Les types ont refusé en disant qu’ils seraient là dès 7h30…

Ben la gars, gentil (croyant bien faire) ou au contraire taquin, débarque à 5h30 du matin, alors qu’il fait encore nuit noire !!! Il cogne sur la coque. Je prends mes passeports et je monte dans sa voiture. Il m’emmène au poste pour tamponner ces fichus passeports… puis il me redépose au bateau, où Aurélie m’imaginait déjà en taule.

Je m’acquitte des 25€ annoncés la veille… les moteurs chauffent… bye bye le Maroc !

Notre plus long passage… le plus dur aussi

On nous avait prévenu : quand on quitte la Méditerranée et qu’on passe en Atlantique, on change de rythme : la mer n’est plus aussi bleue, les escales sont moins nombreuses, on découvre la vraie Mer, vaste, houleuse, venteuse.

Là, nous partons pour 3 à 5 jours.

Et ça commence fort… ça ne s’arrêtera qu’à l’arrivée au Cap Vert !

Le vent n’a pas baissé en intensité par rapport à la veille, bien au contraire. Et la mer n’est pas en reste. Au début ça ne se voit pas car la presque-île nous masque la houle… puis les choses sérieuses se précisent, la houle est grosse et courte.

Ce régime va durer 4 jours et 3 nuits, presque 4 :

  • un vent de Nord-Est, pile dans l’axe du Cap Vert… mais l’allure “vent arrière” n’est guère efficace, surtout s’il y a de la mer ; nous devons tirer des bords ce qui allonge très sensiblement la route ;
  • la journée 20-25 nœuds de vent, avec de grosses vagues pas confortables ;
  • le soir, le vent monte rapidement à 28-30 avec des rafales bien au-delà ; la mer est très très pénible ;
  • la nuit est d’un noir d’encre : la lune se lève vers 8h du matin et se couche avant la nuit… le pompon étant que le ciel est partiellement brumeux : on ne voit même pas les étoiles.
  • Le matin je libère un ris. Le soir on en reprend un la première nuit et un second les nuits suivantes.

Notre Vendée-Globe ?

Avez-vous déjà regardé les vidéos des courses en solitaire ? Un des éléments remarquables est le bruit. Ces types, des dieux parmi les sur-hommes, sont dans leur boîte de conserve, accrochés à leur siège-baquet, en train de hurler dans le micro pour couvrir le bruit ambiant.

Ben nous c’est pareil !

Tenir debout devient compliqué, voire dangereux. D’ailleurs, les petites vivent en pyjama et ne quittent pas la table de carrée rabaissée qui leur sert de lit… sauf pour le gerbi quotidien (voire bi-quotidien), les pauvres.

Mais le bruit… surtout la nuit… c’est l’enfer !!!

Il y a plein de bruits différents :

  • le vent qui siffle et que l’on entend accélérer ;
  • un gentil petit écoulement d’eau, un peu comme le filet qui fait glouglou dans une baignoire : c’est l’eau qui lèche gentiment le bord sous le vent de la coque ;
  • une sorte de cascade : c’est l’eau qui se précipite contre la coque au vent et frotte contre tout ce qui peut faire du bruit en empêchant son écoulement ;
  • des explosions qui ébranlent tout le navire : ce sont les vagues qui se précipitent contre le bateau et qui éclatent contre la coque.

Moutik passe de 5 nœuds dans les creux, à 17 nœuds dans des surfs plutôt stressants. Mais on nous l’a dit, alors j’y crois [surtout qu’on l’a choisi pour cela] : ce bateau est solide, taillé pour les conditions océaniques.

Lorsque je suis couché, j’ai beaucoup de mal à dormir. A cause du vacarme, j’ai l’impression que les conditions sont de pire en pire. Au point que je me lève, je jette un œil dehors où je devine Aurélie, à l’abri dans le cockpit, avec la liseuse d’un côté et de l’autre la tablette qui restitue le radar, l’AIS, les instruments. Je jette l’autre œil au vent : 30 nœuds… 32 nœuds… bon, ça ne monte pas… mais ça ne baisse pas non-plus.

Puis finalement elle me réveille. Le vent est établi depuis 20mn à 35-37 noeuds. Il est temps de prendre un troisième ris et de réduire la voile d’avant au format mouchoir de poche.

La manœuvre est stressante. Il faut se rapprocher du vent pour soulager la tension sur la grand-voile afin de pouvoir la descendre un peu. La houle étant de travers, cela implique de se retrouver face à la houle dans ce noir absolu. Le bateau monte et descend à chaque vague alors que je monte sur le roof pour prendre le ris et tandis qu’Aurélie est à la barre. Nous sommes aussi tendus que la drisse. Malgré cette voilure plus que réduite, nous faisons encore des surfs à 14 nœuds…

[Aurélie]

Eric repart se coucher. Je reprends mon quart fatiguée et stressée. Au bout d’une heure à ce régime de 35 nœuds, ma dose d’anxiolytique arrive sous la forme de magnifiques traînées qui irradient sous la surface. Cette fois ce sont des dauphins de 3-4m qui surfent les vagues. Je suis hypnotisée. Instantanément je me détends. 20mn plus tard, mes amis delphinidés décrochent. Aussitôt le vent retombe à 25 nœuds. J’en ai les larmes au yeux. C’est très con mais à 3h du mat, après 4 nuits sans dormir, la boule au ventre, je ne peux m’empêcher de penser que c’est un signe. Que ces dauphins m’ont accompagnée le temps que le vent se calme et avant que je ne m’épuise. Et me voilà hurlant “Merciiiiiiii”. L’avantage de cette nuit d’ébène c’est que personne ne peut me voir, ni même m’entendre…

[Eric]

Lorsque je suis de quart, surtout après une et deux nuits… je suis crevé. J’ai tout de même trouvé un rythme assez efficace : je lance une minuterie (à la sonnerie bien stridente) pour 15 minutes. Et je m’effondre sur une banquette du cockpit, tout habillé, le ciré bien remonté et la capuche baissée jusqu’au nez. Ça sonne. Je me redresse. Je réarme pour un nouveau cycle. Je vérifie les instruments. Et je retombe et m’endors instantanément. Je fais ainsi des quarts de 3 à 4 heures en me réveillant 10 à 15 fois. Aurélie finira par faire de même.

Le trafic est soutenu : nous tirons des bords qui ne cessent de traverser la route qui remonte le long des côtes de l’Afrique de l’Ouest : cargos et tankers partagent l’océan avec les gros chalutiers hauturiers.

Quelques consolations tout de même !

D’abord, la température : depuis que nous avons laissé Dahkla derrière nous, les soirées et les nuits sont de plus en plus tièdes. Nous sommes enfin (!) sous les tropiques.

Les poissons volants sont omni-présents. Ils s’envolent à l’approche du bateau et font des vols très habiles qui épousent la forme de la houle, sur parfois plus de 100m de distance ! Le matin, eux et des petits calamars jonchent le pont du bateau et les filets du trampoline.

Poisson volant (qui ne volera plus)
Il fait froid, mais au moins, on mange du poisson !

10/11 – Sal approche… invisible.

Le soir du quatrième jour, Sal, la première île de l’archipel du Cap Vert, approche : elle n’est plus qu’à 40 MN… sur la carte.

L’île est très basse. Je l’espère à l’horizon… je tente même de hisser le code D pour accélérer le mouvement, mais nous le rangeons après une heure : trop de vent, trop de vagues, trop de risques d’abîmer notre jolie voile conçue pour des conditions moins féroces.

Mais la nuit tombe et nous ne l’avons pas vue. A peine une heure après le premier (et le seul) phare de l’île apparaît.

Vers 23h… enfin… un dernier virage et nous commençons à sentir l’abri de la côte, puis de la jetée de La Palmeira.

C’est le seul port de l’île, l’un des rares du Cap Vert. D’ailleurs on ne va pas au port (il n’y a qu’une jetée pour un occasionnel ferry) mais les voiliers stationnent au mouillage, à l’abri de la jetée.

Nous ne sommes pas les seuls : il y a bien une quinzaine de voiliers à l’ancre.

Ce soir, nous n’allons pas faire dans la finesse : nous jetons l’ancre presque au milieu du chenal. On se rangera proprement demain, quand on verra clair !

On dirait que cela fait une éternité : nous dormons enfin à plat et dans le silence. C’est fou ce que c’est mieux !

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10 commentaires

  • Laurence de Lavallade

    Vous êtes des warriors ! Nous, on attend nos amis les gilets jaunes. Je ne sais même pas si je vais traverser le Champ de Mars pour aller à mon entrainement de volley-ball cet après-midi !
    Bisous.

  • Gérard Fitoussi

    Ici, à Paris, imaginez à samedi matin avec un ciel laiteux, un peu de lumière et beaucoup de calme. Du calme parce que la ville s’apprête à vivre une journée qu’on nous annonce comme apocalyptique du fait de ceux qui viennent pour « tout casser » et de ceux qui se sont rassemblés pour les en empêcher.
    Alors, vous pensez bien que lire votre blog apporte un changement radical d’atmosphère!
    Je pense avoir lu énormément de littérature marine depuis les grands navigateurs mythiques, pères fondateurs de la discipline, jusqu’à ceux, plus récents, qui nous font rêver. Mais je rends hommage au réalisme de vos description, à la vie qui ressort de vos récits et à la grande honnêteté avec laquelle vous nous présentez vos ressentis et décrivez vos actions. Bravo les Moutiks ! Surtout n’arrêtez pas ! J’en suis attendre avec impatience le prochain épisode !

  • Patou

    Oui, votre récit est digne de Joseph Conrad, c’est passionnant. On en a presque des frissons comme lorsqu’on lit les nouvelles de Francisco Coloane dans le grand sud chilien (il redoutait la nuit aussi) ! La mer ce n’est pas tendre mais c’est enthousiasmant. Biz

  • Boomerang

    Bonjour Aurélie et toute la famille…

    Je viens de découvrir ton blog que je trouve passionnant. Comme vous nous allons appareiller l’été prochain pour 3 années. Vous êtes un peu nos éclaireurs 😉

    Concernant ton récit : Tellement vrai comme ressenti. Nous venons de convoyer notre nouveau catamaran des Pays Bas vers la Bretagne Sud. 45 nds pendant 8 heures au près bon plein, et souvent 30 nds, et on se demande ce que l’on fait là. Navigation stressante, manœuvres périlleuses, mais en mer ,on doit toujours faire le dos rond car le lendemain peut être enchanteur.

    Je suis convaincu que les terriens que nous sommes, ne sont pas faits pour être sur l’eau, mais le terrien a une grande capacité d’adaptation et une grande capacité à oublier les mauvais moments pour construire son expérience, et pour savourer les meilleurs.

    Bon courage à vous, vous êtes au Cap vert. Profitez !

    Stéphane et Geneviève

  • Ktou bis

    Hier soir, les filles étant reparties, nous avons lu au lit. Je suis en train de lire “le nègre du Narcisse” de Joseph Conrad. Le chapitre 3 est la description d’une tempête (Conrad était un navigateur). Effroyable et remarquablement bien écrit. A lire à ton retour, car sur Internet ça pourrait vous faire peur!
    Je n’avais pas encore lu votre dernière chronique, c’est dommage, car cela allait fort bien avec, et le style était aussi réaliste!
    Courage: presque la moitié de la traversée, sans doute demain matin!

    • Eric

      L’arrivée au Cap Vert a été le passage d’un cap (!) : l’arrivée (enfin) sous les tropiques, mais aussi l’acquisition de suffisamment d’expérience pour être désormais moins impressionnés.

  • Agathe

    Wahouw! Quel cauchemar …. Moi je citerais plutôt Pêcheur d’Islande (Loti) ou Le Vieil homme et la mer (Hemingway), c’est flippant dans les deux cas et le style littéraire est à la hauteur!:!!! bravo mais caï caï!!!
    Biz et qu’on est bien chez les vaches….

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