Les navigations

Lanzarote – Dahkla

03/11 – La fin du confort

[Eric]

Allez ! Toutes les bonnes choses ont une fin ! Nous quittons Lanzarote et le bon abri de Puerto Calero.

Ça fait tout bizarre : nous avions pris goût au confort d’une marina bien propre, bien protégée, d’une voiture de location garée devant le bateau, de supermarchés achalandés, de bons petits restaurants, …

Mais voilà, « on n’est pas d’ici » !

Alors nous partons pour Fuerte Ventura, l’île plus au Sud, notre tremplin vers l’Afrique de nouveau.

Le vent est fort. La mer est plutôt formée. Nous parvenons juste à la nuit tombante à Gran Tarajal, un petit port, plein comme un œuf, où nous nous glissons de justesse dans le seul espace qui demeurait.

04/11 – Départ pour Dahkla !

Au matin, je règle la marina de Gran Tarajal (modique somme de 28 €) et nous appareillons.

Nous faisons route Sud-Sud-Ouest, pour environ 300 MN. Il nous faudra en principe à peine deux jours.

Nous longeons rapidement la côte marocaine, en restant à bonne distance (env. > 20MN) pour demeurer à l’écart des zones de pêche côtières.

Quand ça bouge, les filles restent au lit… mais pourquoi regarder un film ainsi !?

La première nuit arrive et nous serre un peu le cœur comme toujours lorsqu’on a pris le temps de se reposer et d’oublier l’inconfort et l’exigence de la navigation de nuit. Mais notre rythme de quart est désormais rodé : je commence pendant le dîner des filles, puis quand il est l’heure de se coucher, on les borde et je vais me coucher également. Aurélie (qui est couche-tard) veille jusque vers 1h… et puis on alterne, etc. J’arrive souvent juste avant ou juste après le lever du soleil et Aurélie peut dormir assez tard (tant que les filles n’ont pas sonné le clairon…).

[Aurélie]

Juste avant que la nuit tombe, le vent commence à monter passant de 18-20 nœuds à 20-25. Nous décidons de mettre le bateau dans des conditions de navigation plus confortables: nous prenons un deuxième ris et nous empannons afin d’éviter d’avoir à le faire seul de nuit.

L’empannage se fait du cockpit sur notre bateau, c’est une manœuvre que nous maîtrisons bien et il fait encore jour. Nous sommes donc dans la cockpit sans gilet…

Sauf que nous avons oublié que nous avions calé le génois pour éviter qu’il ne bouge quand nous étions quasiment en vent arrière. Au moment de l’empannage le génois se retrouve donc à contre, bloqué du mauvais côté du bateau au niveau du point d’écoute. Ni une ni deux nous nous précipitons à l’avant pour déplacer la câle. Eric empoigne le point d’écoute pour soulager la pression sur la câle, quant à moi je me mets un pied de chaque côté de l’écoute pour l’aider en appuyant sur la voile avec ma hanche, tout en décalant la câle. Sauf que juste à ce moment là une grosse rafale de vent emporte le génois et nous avec….

Nous volons littéralement d’un côté à l’autre du bateau. L’atterrissage est douloureux. Je chute lourdement sur les fesses. Mon pantalon se retrouve coincé entre la câle et le rail du génois… à un millimètre près c’est ma fesse qui y passait. Eric lui a fait un vol plané digné de Superman, à l’horizontal au dessus du rail. Manque de chance son coude a rencontré le guindeau (sorte de winch électrique qui permet de remonter l’ancre) en chemin. Il est entaillé sur toute l’épaisseur de la peau et sur 4-5 cm de long.

Il lui faudrait des points, la plaie se situant juste sous le coude. Mais mes compétences en la matière étant somme toute limitées et la houle secouant la bateau en tous sens, il n’est pas question de sortir les aiguilles. Nous optons pour la colle biologique (un MUST-HAVE de la pharmacie de bord). Dans la précipitation, je ne trouve pas le mode d’emploi. Je me lance: la colle biologique ça ne doit pas être très différent de la colle forte… je charge donc bien à l’intérieur de la plaie, je resserre habilement les bords et je colle par dessus des stéristrips pour assurer que les bords restent bien collés le temps que la colle sèche. Et je rajoute un pansement par dessus tout ça histoire d’assurer l’aseptie de la plaie.

Une heure plus tard je m’attaque au rangement des sacs de pharmacie et je tombe sur le mode d’emploi de ladite colle… « Ne surtout pas mettre de colle dans la plaie. Rapprocher les bord et appliquer la colle en surface en couche fine. Ne surtout pas mettre de stéristrips ou de pansement par dessus la colle. »… Oups…

Je joins le Dr Délire (fondateur de Medidistance et pourvoyeur de notre super pharmacie de bord) grâce à notre téléphone iridium. Il se marre, je me détends. Effectivement la procédure n’est pas très orthodoxe mais elle ne devrait pas avoir de conséquences dramatiques… Ouf…

Nous poursuivons notre route, moi la fesse bleue, Eric le coude englué, par une nuit sans lune.

Pour bien comprendre le contexte, je vous propose de mettre des lunettes de soleil, de descendre à la cave, de vous mettre la tête dans un duvet et d’éteindre la lumière…. et là vous découvrirez le noir absolu des nuits sans lune en pleine mer.

Ce noir doublé d’une houle de 2-3m fait que l’on perd tout repère spatial. On a l’impression de flotter dans le vide, d’être en apesanteur.

La première nuit le vent forcit sensiblement. Nous passons de 18-20 nœuds à 25-30 nœuds et la houle passe de 2-3m à 3-4m mais surtout nous la prenons de travers. Les vagues viennent s’éclater sur le côté des coques dans un fracas impressionnant. Le bateau semble sursauter et tremble à chacun de ces assauts. Et nous? pas mieux….

La seule bonne nouvelle, c’est que la nuit venant, Brune et Léonie s’endorment, et le flot de vomi qui déferlait depuis le matin se tarit enfin…. tout comme le ballet des seaux sanitaires…. oui parce qu’avec une telle houle, si elles se lèvent et descendent dans les coques, c’est vomi garanti. Le seau fait donc aussi office de trône pour ces demoiselles.

Elles sont loin les nuits paisibles de Corse où je passais la nuit en pâmoison devant la grandeur de l’univers…

La première nuit ni Eric ni moi ne parviendrons à dormir. Les vibrations, les secousses brutales et les différents bruits qui résonnent dans la coque nous tiennent éveillés.

04/11 – Longue et monotone côte marocaine

Le jour 2 nous semblera interminable. D’autant que nous sommes loin de la côte et que rien ne vient distraire notre œil de la houle.

Le seul événement de la journée, ce sont les hordes de poissons volants qui profitent du vent pour planer sur des dizaines de mètres, fuyant l’étrave de notre bateau.

La deuxième nuit s’annonce… Eric et les filles partent se coucher.

Je prends place dans le fauteuil de barre et à peine 5mn plus tard, j’aperçois dans l’eau une traînée lumineuse qui zigzague le long de la coque. Ce sont de tous petits dauphins qui sont ultra-rapide et laisse derrière des traces qui font penser à des torpilles. Je jette un oeil dans le carré; Brune ne dort pas. Je décide de réveiller Léonie, de les équiper et d’aller à l’avant du bateau pour admirer le spectacle. Nous ne serons pas déçues. Les dauphines passeront encore 15 bonnes minutes à danser entre les coques et à déclencher des gerbes d’eau lumineuse à chacune de leurs acrobaties.

Grâce à eux, je me réconcilie avec la nuit. Les filles se recouchent. Je poursuis mon quart, rassérénée.

05/11 – Dahkla en vue

[Eric]

Dahkla apparaît sur la carte, puis l’AIS (y’a plein de bateaux de pêche pélagiques), puis au radar et enfin à l’horizon, alors que le soleil se lève.

Nous sommes ici aux portes du désert : la côte est peu élevée, ourlée d’une dune de sable clair.

La ville était légèrement visible de nuit parce qu’elle éclairait le ciel. Maintenant qu’il fait jour on distingue quelques cheminées (usine électrique ? conserverie ?) un ou deux minarets. La ville elle-même est très basse, le nez dans la poussière.

NB: Dahkla est dans le « Sahara Occidental ». Le royaume a décidé il y a peu de peupler cette partie du Maroc. Et comme les volontaires ne se bousculaient pas, Dahkla a bénéficié d’une installation portuaire nouvelle, de sorte qu’elle accueille la plus grosse flotte de pêche côtière mais également pélagique du Maroc. Dahkla est également une ville franche : pas de taxe ! Les entrepreneurs et commerçants ont donc commencé à investir dans ce farwest marocain.

Nous appelons le port à la radio : « attention, soyez avisés que c’est ici un port de pêche sans installation pour la plaisance. Il vous sera facturé 250 Dirham. Si vous acceptez ces conditions, vous êtes autorisés à entrer. »

Nous acceptons et nous négocions le chenal d’entrée et la longue remontée vers le port, jalonnés de bancs de sable, précédés et suivis de gros chalutiers pélagiques.

A l’arrivée dans le bassin du port… on découvre « nos voisins » : des dizaines… peut-être cent… chalutiers. L’odeur tant redoutée est là : le poisson-au-diesel. L’eau est dégueux. Un chalutier doit faire le ménage. Il a vidé de sa cale un sac de pain moisi. Donc dans l’eau flotte… le sac et le pain dedans. Un gros sac en plastique bien épais. Les pêcheurs ne sont pas toujours les plus soigneux envers l’océan !

Des dizaines de chalutiers… le vent… l’odeur… et encore on ne voit pas le gasoil !
A couple d’un cata, sans mât, prêt à couler, … lui-même à couple d’un bateau hors d’âge.

On nous indique de nous mettre à couple d’un catamaran. Nous ne sommes pas les seuls ??? Pourtant, à l’horizon… point de mât… Et là, on découvre une épave de catamaran, défoncé, démâté. Un navire de la taille du notre, mais hors d’âge, ou en tout cas dans l’impossibilité totale de franchir les limites du port, sous peine de finir au fond.

Nous allons tourner dans le bassin durant plus d’une demi-heure, en attendant que la capitainerie envoie un loufiat pour virer la barque qui était à couple de l’épave, « à notre place ».

Puis on s’installe habillement : il n’y a même plus de taquet en état sur ce bateau qui relève plutôt du ponton flottant. Un type habite dessus. Un marocain édenté qui semble faire office de gardien : le bateau est une « saisie » disent-ils (on apprendra plus tard que c’est plutôt un type qui l’a laissé là et qui n’est jamais venu le chercher… y’a des chances pour que la saisie demeure non-réclamée assez longtemps).

Les formalités commencent. Plus longues que jamais. Ils veulent des originaux des papiers du bateau [j’ai soigneusement produit plusieurs copies plastifiées qui font office d’originaux en prévision de ce genre de situation].

Le port de Dahkla est une curiosité : la grande baie protégée par une longue presque-île est peu profonde à cause de nombreux bancs de sable. Le port est donc loin du bord : 1,5 Km au moins. Un long pont, bas sur l’eau, mène jusqu’à la grande plateforme de béton qui fait office de port. Le taxi est de rigueur, car aller en ville signifie traverser le pont et remonter la côte jusqu’à la ville de Dahkla.

La ville est poussiéreuse : c’est sec et venteux.

Curieusement, il y a tout de même pas mal de commerces et des restaurants tout à fait honorables, dont quelques uns espagnols, signe de la lointaine occupation hispanique.

Nous faisons un petit ravitaillement.

La journée avance. La nuit approche : l’humidité tombe, c’est presque poisseux. Puis la fraîcheur. Presque le froid ! Brrrr…

Là, c’est presque séduisant… mais ajoutez l’odeur… ah ouais, ça n’est pas pareil, hein ?!

Nous vérifions et revérifions la météo : c’est pas joli. Le vent forci. Mais si on attend que ça baisse, il va falloir attendre longtemps. Et demeurer longtemps dans cet endroit perdu… ça n’est pas possible ! Demain matin, nous repartons.

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3 commentaires

  • Gérard Fitoussi

    Aïe ! La vraie vie ! Pas celle des rêves de ceux dont les navigations se font dans les magazines religieusement lus et relus dans un salon douillet… remarquez, même Eric (Tabarly) a fini par se laisser prendre au jeu fatal de la confiance.
    J’ai eu mal pour vous et j’ai été émerveillé par les dauphins de feu.
    Merci encore les Moutiks !
    PS je n’ai AUCUNE explication quant aux positions adoptées par les jeunes spectateurs (trices) visionnant un film. Mais pour avoir vu les quatre miens faire exactement la même chose je pense que c’est tout à fait normal !

  • Boomerang

    Bonjour Aurélie
    Je découvre avec grand plaisir votre aventure familiale !
    Profitez à fond de ces moments uniques et privilégiés.
    On va vous suivre très régulièrement car nous partons pour deux ou trois ans, en Juillet 2019.
    En fait, vous êtes un peu nos éclaireurs …
    A bientôt
    Geneviève & Stéphane

  • Agathe

    Même pas peur! A côté de l’avenue Kléber samedi dernier (prochain?), vos nuits sont calmes…. et si nous avons aussi des éclairs de feu dans la nuit, pas de dauphin en vue, chez nous c’est le blaireau l’espèce la plus répandue!
    Allez, la pensée du jour que je gardais pour un jour de gros temps:
    Quand le goéland se gratte le gland, c’est qui f’ra pas beau temps, quand il se gratte le cul, c’est qui f’ra pas beau non plus.
    Toute ressemblance avec la position des filles devant leur écran est autorisée.
    Biz et bonne transat’!

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