Les navigations

Transatlantique

Avertissement : pendant la transat, je tenais un journal de bord, histoire de noter les faits marquants. Je le livre ci-dessous, à peine mis en forme. La lecture sera parfois difficile. Désolé !

03/12 – Jour 1, départ

Le bateau est déjà en ordre depuis la veille. Nous avalons donc rapidement le petit déjeuner, je file à la police pour faire la “clearance de sortie”, pendant ce temps Guénolé refait le plein d’eau douce et nous larguons les amarres… pas pour aller très loin : le poste à essence. Plein de gasoil fait, plus un complément dans deux bidons de 20 litres, au cas où…

Et à 9h45 (heure du C.V.), nous larguons, cette fois pour de bon, la dernière amarre ! Nous nous étions dit “avant 10h” : contrat tenu !

Du côté de Guénolé et Guillaume, je ne sais pas… mais moi, ça me fait un truc quand même ! Une sensation d’irréversibilité : là, on est parti et on doit aller au bout. La “transat”, ça n’est pas le Cap Horn, mais c’est tout de même un rêve de marin, >2000 miles, presque 4000 Km… ça n’est pas une paille… dans un désert liquide soumis aux bons vouloirs d’Éole et Poséïdon. C’est ma première transat et j’ai encore le souvenir des navigations difficiles le long du Maroc, pour arriver au Cap Vert, qui avec leurs 4 ou 5 jours en mer étaient mes séjours les plus longs à la barre d’un voilier.

Le loch affiche 4080 miles nautiques au compteur : nous regarderons donc tous les jours à la même heure, afin d’estimer notre moyenne quotidienne.

Le vent est très modéré dans la baie de Mindelo. Puis il se lève dans le canal entre les deux îles (São Vincente et Santo Antão). Jusque vers 26 kts tout de même…

On s’oriente alors tranquillement vers l’Ouest (vers les Antilles)… et la, plus de vent, mais d’un coup, plus rien de rien !! Comble de la transat : à peine parti, on met le moteur !

On ne retrouvera le vent qu’après avoir entièrement doublé l’île de Santo Antão (2 ou 3 heures).

LouiseAnna, parti la veille, joint par SMS Iridium confirme que ce fut pareil pour eux. Je préviens Pouplier qui partira que d’ici deux jours en principe. Ces “SMS” et emails par téléphonie satellite occuperont une partie de nos journées et de nos quarts. Au 21ème siècle, c’est un lien très ténu (le débit de la téléphonie par satellite nous ramène aux toutes premières heures du modem 2400 bauds… pour ceux à qui ça ne dit rien, c’est très très très faible), mais il rassure parents et équipiers.

Guénolé est un gaffeur… à peine parti, il commence à les accumuler (les gaffes). Aussi décide-t-on de mettre en place un pendu : à chaque faute et selon sa gravité, il prend un membre, une potence… [il sera finalement pendu à la fin de la transat !!!]

  • Alors qu’on a pris soin de tout fermer, il va aux toilettes et rouvre le hublot qui est au ras de l’eau et qui ne doit PAS être ouvert en navigation. Refermé à temps.
  • Alors qu’on hisse le code D, il perd sa casquette à la mer, dès le premier jour.
  • Il prépare du café et fait chauffer la cafetière Bialetti, haute et mince, sans prendre en considération les mouvements du bateau et sans mettre les étriers. Heureusement on le voit avant la chute.
  • Lors d’un empannage, on lui ordonne de choquer une écoute, il la conserve dans la main et se fait une paume de marin d’eau douce, pas douce mais pleine d’ampoules
  • Plus tard, il allumera le gaz sans prêter attention aux objets posés au voisinage. Il s’éloigne et retourne vaquer à ses occupations, sans noter que le papier de cuisson du pain est tout simplement en train s’enflammer !!!
Guénolé est pendu !

Déjeuner d’une salade bien préparée par Guillaume.

Le soir approche, alors que je fais un petit breifing pour les quarts et la sécurité, … j’aborde l’électronique (déjà largement commentée la veille à la marina). J’ouvre la carte… et là, 2,5 miles devant nous, filant à 15 kts, un cargo de 138 m file droit sur nous : CPA (Closest Point of Approach ) 0,5 miles, TCPA (time to CPA ) 10 min. Avertissement sans frais…

Nous replions le code D et mettons le solent pour la nuit.

Malheureusement, la manœuvre ne fonctionne pas bien. Le code « cocotte ». On se presse d’enfourner dans le sac un tas de tissu désordonné… j’ai peur qu’on ne s’en sorte pas et qu’on en soit privé pour le restant de la traversée, faute de période sans vent propice au démêlage.

Nous dînons d’une côte de porc à la crème préparée la veille par Guillaume. Délicieuse.

Nous entamons les quarts : Guillaume, Guénolé, moi. On s’en tient à 2 heures chacun et l’on dort donc 4 heures. Très sensiblement plus reposant que le rythme à deux avec Aurélie.

Le vent baisse un peu, nous aurons 15kts toute la nuit et filerons en 6 et 8, avec une mer plutôt clémente.

04/12 – Jour 2

Au matin, après le petit déjeuner, je m’attaque au code D. Avec du scotch électrique, tout les 20cm, je refais un conditionnement aussi propre que possible (pour les connaisseurs, il s’agit de “lainer”, non avec de la laine mais du scotch). Ce scotch devrait tenir le temps de hisser le code et lâchera lorsqu’on bordera l’écoute.

C’est un succès total : je parviens à hisser le code sans qu’il se déroule, soigneusement à l’abri du vent derrière le solent. Puis on borde, il se déroule et les scotchs lâchent les uns après les autres !

En cette matinée, il n’y a que 13kts, mais on navigue de nouveau à 8-9kts !!

A 9h45 env, le loch affiche 4240. Première journée à 160 MN. Honorable compte tenu du calme au Sud de Santo Antão.

La seconde journée est belle, chaude et le vent nous porte rapidement vers l’Ouest-Nord-Ouest.

On détecte quelques voiliers, certains à l’horizon, sans AIS, d’autres hors de visibilité mais détectables à l’AIS. Pas un seul ne reste devant nous. Moutik est une machine de guerre ! D’autant qu’au fur et à mesure de la journée les conditions se renforcent, on fonce jusqu’à plus de 18kts !

Le soir, le vent monte encore, la mer aussi. Prise de ris. Mal de mer pas intense, mais un réel inconfort. En plus, il y a de l’eau dans le compartiment moteur bâbord : régulièrement l’alarme d’inondation se déclenche. C’est de l’eau salée. Je pompe, on éponge… Cela reste à élucider, parce que faire ça toutes les 4-5 heures, c’est pénible.

Nuit secouée.

05/12 – Jour 3

Le matin ça va un peu mieux. Je reprends un Stugeron (médicament contre le mal de mer très efficace et sans effet secondaire; malheureusement pas disponible en France mais que nos amis belges de Maracuja nous ont généreusement cédé). Après le petit déjeuner, ça va encore mieux.

Loch 4458 : 218 MN sur 24h ! Très bonne performance.

On libère le ris… On remet le code D. La vitesse monte instantanément vers 14kts. C’est partiiiiiiiiii pour le jour 3 !

Nous passons à bonne distance de notre premier cargo, depuis que les bateaux au voisinage du Cap Vert ont disparu.

La journée s’écoule. Bon déjeuner de poulet sauce à la bière (décidément, Guillaume nous régale). Il n’y a plus de viande fraîche. Et vu la vitesse du bateau, on n’est pas près de pêcher.

La mer est confuse et le restera toute la journée. Le soir, le vent est plus modéré, du coup on range le code mais on ne prend pas de ris.

Une soupe et au lit, les quarts commencent.

La nuit commence plutôt tranquille… mais les grains redoutés, typique des tropiques, se pointent : pluie, vent jusque vers 25-30kts, mer démontée. Si c’est le régime de toutes les nuits [ça le sera] ça va être pénible.

06/12 – Jour 4

Au matin c’est un champ de bataille. Le dernier grain est derrière nous mais la mer est sans dessus-dessous.

Le vent demeure soutenu, donc il faudra attendre pour se reposer. Petit déjeuner puis position allongée.

A 9h42 c.v. (10h42 utc) on a un Loch de 4674, soit 216 MN, presque aussi bien qu’hier.

Journée difficile : la mer ne se calme pas vraiment, on dort beaucoup. On lit un peu. Les conditions, trop soutenues, ne permettent pas de hisser le code.

Le soir arrive, plutôt prometteur : mer un peu calmée, vent modéré. Mais ça ne dure pas. Les grains se succèdent, le vent passe de presque rien à 26kts, le bateau fait des bonds, tape, craque, … pauvre Moutik.

En plus la (petite) voie d’eau de la soute bâbord arrière ne cesse de se signaler avec l’alarme stridente. Il faut que je trouve la source du problème. Peut-être bien l’embase de la passerelle située sur la jupe bâbord. Elle a dû être malmenée après 10 jours de passerelle à Mindelo, et l’eau de mer doit s’infiltrer par là…

07/12 – Jour 5

Au premières lueurs du matin, je ne suis pas vraiment fatigué. Plutôt agacé que nous n’ayons pas de meilleures conditions, permettant d’avancer comme aux premiers jours de la traversée.

Le vent est mou et la mer toujours hachée.

Les grains de la nuit se dissipent peu à peu, mais le vent oscille et change de direction constamment. Puis il s’établit, enfin ! Il faudrait lâcher un ris et remettre le code : ça attendra le premier réveil.

Point quotidien : 4883 MN, soit 209 MN…

Dans la journée le vent retrouve la force idéale +/-15kts. Après le déjeuner on sort le code D. On file de nouveau en plein confort.

La mer se calme, de moins en moins hachée. Par contre il demeure une belle houle, de 2m+, qui arrive de ¾ arrière : l’allure est confortable.

Je vérifie l’embase de passerelle : elle est effectivement dessertie et les vagues qui submergent la jupe coulent dans l’arrière du bateau et l’eau se retrouve dans la cale-moteur. J’opère : je remets du mastic autour de l’embase. Heureusement ce mastic prend malgré l’eau, car à peine ai-je commencée que les vague submerge mon ouvrage. Depuis, victoire, plus d’alarme d’inondation !

On tente la pêche… une touche, si forte qu’on en perd le leurre… ou était-ce une planche ? [nous perdrons pratiquement tous les leurres à vouloir pêcher à des vitesses incompatibles]

On se repose. On lit. Je fais un très joli pain (j’ai compris : je le faisais trop sec jusqu’à présent : la pâte doit être collante, très fluide). Le dessalinisateur nous fait un peu d’eau.

A l’horizon, un voilier pointé le nez. On le laisse sur place, comme d’hab. Il n’a pas d’AIS, c’est effarent… j’en ai déjà parlé : au prix de l’appareil, tout le monde devrait en être équipé.

Pour la nuit, on prend un ris : même si le début s’annonce bien, il n’y a guère d’illusion à se faire, on aura sans doute des grains.

Le premier quart, assuré par Guillaume est effectivement plutôt tranquille… mais les suivant voient se succéder les grains.

08/12 – Jour 6

Matin avec mer confuse et houle formée. Le soleil tarde à montrer son nez et dissiper les grains.

Point uotidien : loch 5088 MN, soit 205 MN.

On reprend le ris…et on empanne ! C’est la première fois que nous changeons d’amure depuis le départ. On sort le code et c’est parti pour les surfs : on a la houle de dos.

Petit point pêche : voici le 4ème rapala que l’on perd dans l’océan. Soit il a été coupé par un poisson trop gros, soit le fil est revenu tout emmêlé, soit la canne a sectionné le fil, … bref, il va falloir du fil, des rapalas, une nouvelle canne, … et toujours aucun poisson (à cette vitesse, ça n’est guère étonnant).

Aujourd’hui nous sommes environ à mi-chemin.

Le soir approche, la journée a été agréable avec une mer moins démontée. Nous rangeons le code et prenons 2 ris, puis empannons de nouveau. Dîner… et les quarts reprennent.

09/12 – Jour 7

Nous nous félicitons d’avoir (pour la première fois) pris 2 ris le soir, au lieu d’un. La nuit n’a pas été différente des précédentes : les grains et leurs vents à 25-30kts étaient bien au rendez-vous.

Avec Guénolé, nous nous faisons la réflexion que c’est tout de même dur : les réveils en pleine nuit, les veilles, le noir, le vent, les mouvements ininterrompus, … on pense à ceux qui le font à 2… voire seuls ! Pire ceux qui le font à deux avec des enfants !! Je suis vraiment content qu’Aurélie soit rentrée avec les filles. Ça aurait été désagréable pour elles et pour nous de les avoir à bord.

Le loch affiche 5270, nous repassons sous la moyenne des 200 MN par 24h, avec seulement 190 MN.

Aujourd’hui, nous faisons tourner la machine à laver le linge (et de l’eau douce).

Encore de sérieuses pointes à 18kts et des surfs tenus près d’une minute à 16kts…

Le soir, on réduit, comme à l’habitude : plus de code, 2 ris pris, …

La nuit sera sans grain cette fois, mais avec une grosse houle de dos.

10/12 – Jour 8

Au matin le loch annonce 5483 MN soit 213 MN sur 24h. Toujours une belle moyenne.

Nous reprenons une route Sud-Ouest. D’abord avec le code, puis la houle étant forte et le vent aussi, on réduit… à peine réduit je me dis qu’on aurait dû garder le code ! Donc on le remet…

…Alors que tout va bien et qu’on s’apprête à glisser dans un n-ième surf… BANG !! Un coup sec !

Je lève les yeux, le mât est entier. Mais le code n’est plus au sommet du mât. Il se trouve environ 10m plus bas, au bout de la drisse.

Je me jette sur la bosse d’emmagasineur et je roule aussi vite que possible en criant « choquez  ! ».

Dans la bataille, le bas du code se prend dans un taquet avant… déchirure !

Que s’est-il passé ? La drisse n’est pas rompue. L’âme non-plus, contrairement à mon premier diagnostic. Il est plus probable que la drisse ait été mal serrée dans le coinceur et elle a « pissé ». Une longue section de la drisse est désormais de section  rectangulaire…

En tout cas, plus de code pour la fin de la transat. Je suis triste.

La nuit sera houleuse mais sans grain.

11/12 – Jour 9

Loch 5684 MN soit 201 MN sur 24h.

Peut-être la dernière fois qu’on fait plus de 200 MN, car désormais plus de code !

Il reste environ 3 jours. Ça commence à être long et monotone.

La mer est pleine de sargasses, les algues qui se développent en pleine mer, au large du Brésil… à cause de la pollution agricole… et qui dérivent et vont s’échouer sur les plages des Caraïbes. En plus, elles se décomposent et sentent horriblement mauvais (H2S). Un fléau écologique.

Beau coucher de soleil, comme tous les soirs, on prend 1 ris par prudence.

12/12 – Jour 10

La nuit fut horrible. Une succession de grains, avec des vents forts (30kts), une mer très agitée. Les quarts ont été très éprouvants.

Pire, au matin, le vent est pratiquement absent. Le bateau fait le bouchon. La bôme claque. Grrr…

Loch 5857 MN soit 173 MN sur 24h. Nous payons à la fois l’absence de code, la difficile descente du vent, les conditions de cette nuit, l’absence de vent ce matin.

Je déprime. Ça ne veut pas en finir. Je suis totalement dévasté. Cela doit faire 20 fois que je vérifie le vent, les réglages, la destination, la météo. Je tourne littéralement en rond.

Je suis même allé regarder 3 fois le code, histoire de voir si je pouvais le réparer : impossible, la déchirure est trop longue, ça ne marcherait pas avec du scotch à voile. Pire, il y aurait fort à parier que cela céderait et déchirerait encore plus la voile.

Alors on se traîne entre 5 et 7 kts.

 Qu’est-ce qui me met dans cet état ?

  • Le compte à rebours que je m’étais fait, prend désormais plusieurs jours de retard (car oui, je pense qu’on prend 2 jours dans la vue) ;
  • Le fait que j’ai blessé Moutik et que cette fois je ne suis pas en mesure de le réparer en mer ;
  • L’idée que des bateaux-copains puissent faire mieux que nous… LouiseAnna, par exemple, parti un jour avant nous, qu’on avait doublé au bout de 2 jours… et qui là doit se rapprocher [en fait on est bien loin devant] ;

Je ne parviens pas à maîtriser ce mélange de peine, de colère, d’impatience, …

En plus, de nouveaux problèmes pointent leurs nez :

  • Le bateau craque beaucoup ; ce sont les meubles, les cloisons, qui sont normalement collées aux coques et dont les points de colle ont dû cédé ; la nuit, c’est un véritable concert ;

Mais bon, on vit avec…

  • Le compresseur du pilote fait de drôles de bruits ; comme si des engrenages ne tournaient pas rond. Le bruit n’est pas sympa. Accessoirement on l’entend assez nettement dans le bateau et ça participe à me bousiller mes nuits.
  • Heureusement, on a un (petit) pilote de secours, au cas où.

On s’est fait un “Home Cinema” après le dîner : Seul Sur Mars.

Guénolé était fatigué, on a donc changé de formule : on commence après le film (0:30 C.V.) Guillaume 3h jusqu’à 3h30, Eric 3h jusqu’à 6h30, Guénolé prend le relai au petit matin.

Ça me permet d’introduire quelques sujets :

  • le problème de l’heure : GMT ? Adaptation progressive ? Nous avons préférer tout baser sur l’heure du Cap Vert, en particulier parce qu’on compare la distance parcouru à 9h45 C.V. heure du départ ;
  • Les repas : nous ne prenons pas les repas à heure fixe, mais plutôt quand nous avons faim. Les déjeuners et dîners sont précédés d’un apéro, on dîne une fois la nuit venue. Sauf film, le premier quart commence après le dîner et les autres vont dormir aussitôt. Nous aurons très bien mangé. Guillaume est un excellent cuisinier. Guénolé prépare de délicieuses pâtes. Je prépare pains et gâteaux.
  • Les quarts : nous avons instauré un rythme 2h de quart, 4h de sommeil. Chacun effectuait donc deux fois cela durant la nuit (un peu moins, car les quarts commencent après le dîner, 1 à 2h après la tombée de la nuit. Les quarts à 3 ne me posent pas de problème, alors qu’avec Aurélie, à 2, c’était un peu plus difficile. Par ailleurs l’absence totale de mal de mer après les premiers jours me permet de veiller, de lire, de regarder un film, là où habituellement je dors et mets une minuterie toutes les 15 minutes.

13/12 – Jour 11

La nuit a été acceptable. Quelques grains jusqu’à 25-26kts, mais rien de terrible. On s’y habitue. Mer agitée.

Le loch affiche 6017 MN soit 160 MN sur 24h. On paye la journée passée, particulièrement peu venteuse couplée avec une houle très formée. Le bateau se traînait… surtout faute de code D.

Nous approchons du point de convergence de la plupart des bateaux : les Antilles et en particulier la Martinique. Aussi, depuis quelques jours nous entrevoyons quelques navires (à l’AIS surtout).

Ce matin, le vent remonte bien, jusque vers 20-22kts, la houle est toujours très formée. Mais avec ce vent, nous retrouvons des allures honorables : 8-9kts et surfs jusqu’à 15kts.

Ce régime va durer toute la journée. Nous descendons vers le Sud-Ouest : nous empannerons ce soir, peut-être pour un dernier bord vers la Martinique ou presque…

Outremer m’a répondu ce matin (email satellite) :

  • Un chauffe-eau m’attend au marin (le nôtre, à cause d’un épisode d’eau salée sortant du… dessalinisateur… est rouillé) ;
  • Un spécialiste va sortir le bateau de l’eau et changer le joint SPI (joint d’hélice) endommagé par des filets au Maroc ;
  • Il prendra aussi ma voile pour l’emmener chez le voilier ;

Bref, Moutik sera aux petits soins !

Quant au pilote : c’est probablement le manque d’huile hydraulique dans le pilote qui provoque les bruits (la pompe emportant de l’air au lieu de l’huite). Je n’en ai pas… il faudra attendre la Martinique.

A propos de communication au large, nous avons à bord un boîtier Iridium GO!. Petit, auto-alimenté, couplé avec un téléphone portable (iPhone ou Android) et les applications préalablement installées, il remplit plusieurs fonctions :

  • SMS vers n’importe quel numéro international ou vers un email (dans les deux sens) ;
  • Appels vocaux ;
  • Emails (y compris pièces jointes bien compressées) ;
  • Routage et météo (j’utilise PredictWind 3 à 4 fois par jour pour estimer le moment propice pour les changements de direction) ;
  • Suivi de position (nos coordonnées sont transmises toutes les heures, une URL à transmettre à la famille et aux amis permet de restituer une carte, le trajet effectué, la dernière position reçue, la météo sur la zone, …).
Première moitié de la transat sur un seul bord…

Le débit de l’Iridium GO! est modeste (transmissions à 2400 bauds…), mais c’est finalement suffisant pour la plupart des besoins. La solution est très satisfaisante. Les tarifs des abonnements, en particulier en passant par PredictWind, sont finalement raisonnables.

Ce soir, dîner rapide et séance de cinéma : Everest (le film adapté du livre “Into Thin Air” de John Krakauer, aussi auteur de “Into The Wild”).

14/12 – Jour 12

Relativement bonne nuit : quelques grains, pas mal de vent : au matin on file encore à 9-10kts.

Le loch affiche 6212 MN soit 195 MN sur 24h. Le code ne nous a guère manqué, il y a trop de vent et de houle pour s’autoriser à le mettre.

La journée commence comme les jours précédents : très grosse houle, dans laquelle Moutik a dû mal à se relancer quand le vent n’est pas d’au moins 20+kts.

La prévision d’atterrissage se précise : nous devrions arriver demain +/-midi, ce qui porterait le temps de traversé à 12,5 jours.

Vent soutenu toute la journée. Quelques voiliers en vue : tout le monde converge vers la Martinique…

Juste après le coucher du soleil et juste avant la nuit, nous prenons deux ris, en prévision d’un vent assez fort toute la nuit.

15/12 – Jour 13 : arrivée

Nuit finalement très tranquille : longtemps le vent s’est maintenu, pas de grain, petite chute du vent en fin de nuit, qui est reparti peu après le lever du soleil.

Le loch affiche 6410 MN soit 198 MN sur 24h.

Premiers signes de la civilisation : le bulletin météo du CROS Antilles-Guyane, les oiseaux marins commencent à se montrer, …

Le vent nous porte bien pour ce dernier jour, belle vitesse.

Puis l’horizon laisse apparaître les contours des « mornes », les collines de Martinique. Nous embouquons le canal entre la Martinique et Sainte Lucie, puis un dernier bord de travers vers le Nord et la baie du Marin s’ouvre devant nous.

Pas de place au port. Nous mouillons devant le Club Méditerranée « Les Boucaniers ». Il fait chaud. Le sable est blanc. Les cocotiers ourlent la plage… ce sont en les Antilles !

Il y a… des centaines de voiliers !

Le loch termine sa course à 6477 MN, soit 2397 MN, 4435 Km parcourus…

Conclusion

A la question “c’est comment une transat ?”, je répondrai ainsi :

  • c’est long, parce que finalement il ne se passe pas grand chose : quoique mon récit puisse laisser croire, le régime météo est assez constant (nous avons néanmoins eu des conditions soutenues) ;
  • c’est stressant avec un bateau comme le notre : ça va vite et la nuit les sensations sont décuplées : je me réveillais régulièrement, en pensant que le vent était encore monté, qu’on allait tout casser, …
  • c’est fatiguant, parce que ça ne s’arrête jamais : le vent, la houle, le soleil qui tape fort la journée, le bruit la nuit ;
  • ça n’est pas vraiment beau : oui, la mer à perte de vue, surtout au début, c’est remarquable… mais c’est le même paysage à longueur de journée; quant aux nuits : les étoiles sont belles… quand les grains nous laissent les voir !
  • on est vraiment seul : on ne voit que très peu de bateaux et toujours de très loin ;
  • on s’y fait… et c’est étonnant : d’abord le mouvement perpétuel de la houle s’oublie assez vite, et puis un rythme s’installe après quelques jours, ponctué de lectures, de siestes, de repas, de films, de quarts, d’apéros, … les journées passent étonnamment vite ;
  • c’est frustrant quand ça ne se passe pas comme je le veux… mais ça n’est pas le propre de la transat…. ça, c’est moi !
  • je n’ai pas eu peur : j’ai toujours eu confiance dans le bateau et les équipiers… et les jours de descente de l’Atlantique jusqu’au Cap Vert m’avaient aguerri.
Arc-en-ciel après un grain
Coucher de soleil… comme tous les jours

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6 commentaires

  • Delepau

    Et bien je préfère une bonne plage de sable fin avec Bikini et cocktail!!! Bon content de vous savoir arrivé à bon port .., maintenant profitez des îles !!!
    Bises

  • GERARD FITOUSSI

    Certes une bonne plage de sable fin avec accessoires c’est bien…mais c’est du “courant”. Disons, pour ne pas faire le blasé que c’est à présent accessible à presque tout le monde car les “sables fins” sont une denrée touristique bien exploitée et trouvable quel que soit le budget ou presque.
    Mais là, Eric, tu nous emmènes en voyage dans tous les sens du terme. J’ai apprécié les détails du post relatif à la préparation. Et j’ai été passionné par ton journal de bord.
    Je le répète, c’est vraiment extrêmement généreux de te donner ce boulot d’écriture. D’ailleurs, pour en prendre l’exacte mesure, y’a qu’à se remémorer l’enthousiasme qui préside à la rédaction des courriers (courriels) lorsqu’on est justement dans l’environnement sable fin etc. !
    Mention spéciale pour Aurélie et son petit grain de sel discret, élégant et tellement à-propos !
    Profitez à fond, la Bande des Quatre. Bises .

  • Laurence de Lavallade

    Magnifique récit : merci Eric et merci à vous 3 d’avoir vécu cette expérience pour nous la faire vivre.
    Une mention spéciale à Guénolé qui m’a l’air encore plus gaffeur que moi. Et ce n’est pas facile ! Ma dernière : j’arrive à un dîner et je dis à l’une des convives qui porte des cuissardes, que mon mari n’a pas voulu que je mette les miennes car cela faisait trop vulgaire…
    J’adore tout dans le récit : le mouvement des vagues encore et encore, les nuits agitées encore et encore, les cours d’empaquetage de voile et le discours commercial pour que nous achetions un abonnement iridium.
    Ces 12 jours raccourcis en quelques lignes paraissent si rapides.
    Bravo aussi au brave Moutikh !
    P.S: je veux bien la recette du poulet sauce à la bière !

  • Agathe

    Bon…. fallait le faire!! Bravo. Et pauvre Guéno pendu! En tout cas on frémit et on est bien contents d’être au sec pour la lecture. Et puis c’est définitivement certain: même si la littérature c’est de la m…. comme disait qui tu sais, il faut que tu continues d’écrire! C’est top!! Biz

  • Patou

    Félicitations aux hardis navigateurs ! Ils l’ont fait !!
    Et puis ta littérature est très agréable à lire, sans doute parce que tu l’as bien vécu, Bravo gars. Grosses bises.

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