La technique,  Les navigations

La nuit

La nuit, c’est comment ?

Souvent, on m’a demandé : « C’est comment la nuit ? ».

Et je répondais : « Bah, c’est comme en voiture, mais la route est plus large et y’a pas grand monde ».

En fait, non… ou en tout cas, il y a bien plus à dire.

Alors en quittant Port Lligat, je me suis dit « et si je prenais des notes pour écrire vraiment comment ça se passe la nuit ? ».

Départ avant la nuit

Nous partons avant la nuit. Pendant que les filles dînent, j’assure la première veille : la saison est désormais terminée, il n’y a pas de voilier, quelques rares bateaux de pêche, peu de casiers.

Le vent est presque parfait : il vient de 3/4 avant et nous fait avancer au près à bonne vitesse.

La mer est calme : le vent ne s’est levé que récemment, la houle n’a pas encore eu le temps de monter.

En sommes c’est parfait… pour l’instant.

Bruit bizarre

La nuit est maintenant tombée. Le lit est établi dans le carré, les filles y sont couchées (pendant les navigations de nuit, elles dorment dans le carré : il y a moins de bruit que dans les cabines).

Aurélie a pris le relais et je m’apprête à aller me coucher. Mais il y a un bruit étrange : un frottement, pas sympa. Le genre de bruit qui fait dire qu’une pièce est en train de s’user contre une autre.

Ça n’est pas normal. Je sors, j’inspecte, je colle mon oreille sur le roof, contre le mât, … il est difficile de localiser l’origine du bruit. En plus, maintenant il fait nuit, même avec le puissant projecteur, nous ne parvenons pas à identifier ce qui ne va pas. Piètre alternative : on va prendre un ris, même si le vent semble plutôt s’amortir et on garderait bien toute la toile…

Prendre un ris est toujours une étape un peu stressante : on se met face au vent, le bateau n’est plus appuyé par le vent, il roule, les voiles claquent, il faut de synchroniser. L’un détend et laisse descendre la grand-voile, pendant que l’autre l’aide à descendre et glisse la sangle qui réduit la voile. Puis il faut retendre la drisse et enfin la bosse de ris (ce qui réduit la voile au niveau du bord de fuite).

Tout cela dans un noir quasi complet : le ciel est couvert, il n’y a pas de lune.

Clac !!! Un truc a sauté !?

De retour au poste de pilotage, on se remet dans le vent et on reborde les voiles pour repartir.

En bordant le solent (la voile d’avant) quelque chose résiste… on n’a pas le temps de regarder… « clac ! » l’écoute vient enfin d’un coup sec. Aurélie qui a le projecteur à la main crie « quelque chose a sauté devant ! ». On se précipite à l’avant : sur le filet gît un chapeau de winch et la pièce de plastique vissée qui le maintenait en place.

Pendant la prise de ris, le solent battait et l’écoute s’est prise dans le winch situé en pied de mât (il faut le savoir, en bateau notamment, quand un pépin peut arriver, il arrive ; c’est aussi simple). On verra ça demain : j’emballe les pièces graisseuses dans un sac de congélation.

Beurp… au lit…

Avec les années et les expériences de navigation, je suis beaucoup moins malade. Mais il y a un truc qui ne me réussit pas, c’est justement ces manœuvres d’urgence faites de nuit : la tête en l’air, agrippé par une main, avec une certaine inquiétude, presque à poil (j’étais sur le point de me coucher), etc.

Donc là, ça ne rate pas : je suis vaseux. Je me précipite au lit : ça va toujours mieux quand on dort.

Ça ne s’arrange pas…

Quelques temps plus tard, Aurélie vient me réveiller : il n’y a plus de vent, elle a déjà mis le moteur, mais la voile bat : il faut la ranger.

Rebelote, face au vent, je monte sur le roof, …

Et je refile au lit : la nausée qui avait (timidement) disparue est revenue.

Et la nuit alors ?

On y vient…

Il est 2h30 ce 14 septembre. Aurélie m’a réveillé et vient d’aller se coucher.

Je suis donc seul sur le pont, au poste de pilotage.

Il fait tiède, c’est très agréable. Mais j’ai tout de même enfilé chaussettes, chaussures, jeans, polo, pull, ciré et gilet autogonflant.

La nuit est très noire : d’abord elle est désormais bien avancée et le soleil a depuis longtemps disparu sous l’horizon. Mais en plus il n’y a pas de lune et une épaisse couverture nuageuse doublée d’une légère brume : lorsque je braque le projecteur devant moi, le faisceau révèle la nuée de gouttelettes en suspension.

Du coup, on discerne à peine l’horizon et les lumières de la côte (Espagne, Barcelone) ont totalement disparues.

Je me dis que c’est dommage, que sans les nuages ce serait une belle nuit étoilée… une autre fois !

Il n’y a pas un bateau en vue : pas une lumière, pas même un infime scintillement. Le radar ne reçoit pas un écho. Seul l’AIS affiche quelques cibles lointaines : des bateaux en pêche, des cargos, des ferries. Aucun sur notre route.

Côté mer, on traverse des nuages de phosphorescence. Parfois rien puis subitement de multiples tâches verdâtre, fortement lumineuses qui s’évanouissent après quelques secondes, comme réveillée par le bateau/l’hélice. Ce sont certaines espèces de planctons qui ont un mécanisme de luminescence chimique qui se déclenche lorsqu’ils se sentent menacés.

Côté son : pas de bruit… sauf les moteurs (grrrr…) et le brassage de l’eau à l’arrière.

De mon côté : je demeure un peu brassé à cause des différentes manœuvres effectuées plus tôt.

Toute cette noirceur ne me procure pas d’angoisse. C’est vrai, les toutes premières fois, je crois me souvenir que c’était un peu effrayant. Mais au début seulement. Car très vite, on réalise que le bateau flotte, qu’il est sûr, que l’on maîtrise les manœuvres, que l’on peut faire confiance aux instruments, etc.

Le temps passe, lentement

Il ne se passe rien !!! C’est d’ailleurs une partie de ce qui fait que la veille de nuit est spéciale.

Certes, parfois il faut surveiller un cargo qui s’approche, etc. Mais là, on peut consacrer toute son attention sur les sensations.

Les nuages vont peut-être passer : je distingue déjà quelques étoiles à travers quelques trous.

Du coup, j’ai baissé la luminosité des instruments aux maximum, pour que mes yeux restent habitués à l’obscurité.

Le radar balaye sans cesse mais n’accroche toujours rien. Seul l’AIS prouve qu’il y a un peu de vie, mais pas devant.

3h00. Finalement toujours des nuages. Seule une petite portion de l’horizon laisse voir une poignée d’étoiles très brillantes.

C’est curieux, il y a des nuées de petits papillons de nuit. Que font-ils ici, à près de 50 MN des côtes ???

Je braque le projecteur dans l’eau : je vois passer des méduses brrr… et de temps en temps, le spot fait briller quelque chose sous la surface. Petit point jaune/vert intense. Comme s’il s’agissait de l’oeil d’un poisson ?

3h30. La VHF déportée est a côté de moi depuis le début. Elle n’émet pas un bruit, pas une conversation sur le canal 16. Entre Corse et continent, un mois plutôt, c’était tout le contraire : les sémaphores appelaient les gros bateaux, un plaisancier signalait une avarie moteur, etc.

Mais ça y est ! Le nuage a presque totalement disparu. La brume est toujours là, mais le ciel très très noir se révèle couvert d’étoiles. Infiniment plus que d’habitude. C’est encore plus incroyable avec les jumelles : d’autres étoiles invisibles à l’œil nu apparaissent entre les plus brillantes. La voie lactée est clairement visible en travers, comme une veine dans le marbre noir, juste interrompue par le dernier nuage.

4h00. Un petit vent de travers s’est levé. Je sors la voile d’avant en attendant que cela se précise. On gagne +/- 1 kts. Et probablement un peu moins de roulis.

Malheureusement, les nuages semblent revenir. La faible lumière du ciel étoilé disparaît petit à petit.

Il n’y a plus de phosphorescence : il faut croire que le plancton évolue aussi en banc. Du coup, l’eau est très sombre…

4h30. Je m’allonge dans le cockpit… et je commence de courtes périodes de sommeil, entre lesquelles je lève la tête pour observer l’écran radar obstinément vide.

La relève est proche. Il est temps !

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