Essaouira-Lanzarote
25/09 – Jour du départ
La pause à Essaouira était bienvenue : d’abord, depuis 3 ou 4 mois, c’est la première fois que nous dormions ailleurs que dans le bateau et depuis que nous sommes en Atlantique, les étapes sont plus longues, la mer est plus tumultueuse, l’équipage est malmené.
Les formalités sont vites effectuées (pas de fouille, pas d’officiel à bord, car nous n’avons pas accosté).
Tant mieux, nous partons assez tôt (9-10h), avec un petit vent qui nous pousse à peu près dans la bonne direction… bien qu’un peu trop vers le Banc de Mogador, une zone de haut-fonds au Sud d’Essaouira. On doit tirer quelques bords.
Puis le vent forci. Ça n’était pas vraiment prévu par la météo, mais jusque là nous nous réjouissons : le code D nous fait voler sur une mer lisse.
Et il forcit encore. On avance bien (heureusement, on ne l’a pas en face). Mais la mer commence à se lever…
Et ça continue : la nuit s’annonce plutôt pénible… nous serons servis !
Quand le soleil descend, le trouillomètre monte
La houle s’est franchement levée, 2 à 3 mètres probablement ; les vagues déferlent, la mer est blanche. En outre, comme nous prenons les vagues de côté, parfois elles explosent sur le flanc du bateau et balayent le pont et le marin qui veille au poste de pilotage. La nuit est noire, sans lune, sans étoile.
C’est dur ! Et soyons honnêtes, ça fiche la frousse !
C’est un sentiment que nous avons oublié pour la plupart d’entre nous, adultes et citadins : la nuit, ça (re)fait peur lorsque les conditions sont réunies :
- Là, nous sommes désormais proche des tropiques, la nuit tombe vite : en 30′ il fait nuit noire.
- Mais nous ne sommes pas encore assez au Sud pour la saison : la nuit il fait vraiment froid.
- Peu importe où le regard se pose, tout se ressemble : la mer et rien que la mer, pas une côte, pas un bateau, pas un point de repère… nada !
- Sans repère visuel, toutes nos autres sensations sont exacerbées: les bruits, les mouvements du bateau, la force du vent qui nous lèche le visage…
Alors il faut évacuer les frayeurs idiotes (parce que ça n’arrive heureusement pas tous les jours) : « et si je tombe, m’entendra-t-elle hurler ? », « et si elle tombe, son cri me réveillera-t-il ? », « et le bateau, va-t-il tenir le choc ? », « et les petites qu’on a emmenées dans ce périple », …
Il y en a d’ailleurs qui ne semblent pas s’embarrasser avec ces sentiments : les filles se couchent après le dîner, sur la table du carré abaissable transformée en lit double. Elles dorment à poings fermés. Alors que l’on s’inquiète pour elles, elles n’ont de leur côté aucune peur : « il fait nuit, donc je dors ».
Je les regarde ; je laisse le plancton luminescent me distraire ; je joue avec l’électronique ; je remonte la fermeture du ciré et je baisse la capuche…et puis ça passe : ça n’est qu’une nuit, demain il fera jour.
En attendant, ça bouge
Je suis mieux couché que debout. Aurélie n’est pas mieux. Heureusement, nous sommes désormais loin des côtes, hors des routes de commerce : il n’y a personne ! Le radar et l’AIS veillent. Alors je mets en oeuvre ma technique de veille/sommeil/veille/sommeil : je me couche sur la banquette du cockpit, je ferme les yeux et je dors quelques minutes, peut-être 10 à peine… et je me réveille, par instinct et parce que tout habillé, en ciré, la position n’est pas propice à un gros dodo. Je me lève, je fais un tour d’horizon, je vérifie l’électronique, zoom et dé-zoom pour vérifier qu’il n’y a rien même loin.
NB: avec le mauvais temps néanmoins, le radar est à considérer avec prudence : les vagues engendrent beaucoup d’échos. Du coup, le radar (en mode « automatique ») réduit sa sensibilité… et à n’en pas douter bien des navires demeureraient alors invisibles. L’AIS, par contre, est insensible à cela ; il est aujourd’hui obligatoire pour les navires de commerce et de passagers, il devrait vraiment être rendu obligatoire pour tous les bateaux hauturiers : le coût est dérisoire, à peine 100 à 1000 Euros selon le modèle, mais quelle sécurité et tranquillité cela procurerait.
26/09 – Revoici le calme
Peu avant le jour, le vent tombe, presque d’un seul coup. Alors qu’il oscillait entre 25 et 30 nœuds, en 15 minutes il tombe à 3-5 nœuds ! La mer perd immédiatement ses moutons et plusieurs heures plus tard, alors que le soleil est bien levé, le fouillis des vagues disparaît progressivement.
La seconde partie du voyage sera longue : j’allume les moteurs et ils nous porteront jusqu’au lendemain pour atteindre Lanzarote. La grand voile reste déployée, elle doit procurer un demi à un nœud de poussée… qui ne parvient pas à compenser le 1.5 à 2 nœuds de courant contraire qui nous freine !
La seconde nuit s’annonce plus douce que la première, d’autant que nous nous couchons le ventre plein d’un joli petit thon pêché la journée.
Pendant mon sommeil, Aurélie a la chance d’assister à magnifique spectacle que je la laisse vous décrire:
Alors que je prends mon premier quart et qu’Eric vient de se coucher, un dauphin passe me saluer le long de la coque. Je me précipite sur les trampolines (oui maman, je portais bien mon gilet et j’étais harnachée 🙂 ) pour profiter du spectacle que ce dauphin et ses congénères s’apprêtent à m’offrir. Ce sont de tout petits dauphins, à peine 1m50, extrêmement agiles et véloces; de véritables torpilles. La nuit étant très noire et grâce au plancton lumineux qui abonde dans ces eaux, chacun de leur déplacement crée une sorte de traînée luminescente dans l’eau sur 2 ou 3m. Ils jouent à s’entrecroiser et les entrelacs que cela engendre dessinent d’immenses tresses lumineuses entre les coques du bateau. Raiponce peut aller se coiffer. A chaque saut, ces armes d’enchantement massif déclenchent une gerbe d’eau phosphorescente. Je n’y tiens plus; je rentre dans le bateau réveiller les filles. Il faut qu’elles voient ça! Le temps de les sortir du lit, de les emmitoufler et de les harnacher, les dauphins sont toujours en pleine démonstration. Brune et Léonie sont fascinées. Nous resterons là un bonne dizaine de minutes avant que le banc de dauphins ne décroche et reprenne sa route. Moment magique.
Ce spectacle inopiné m’a donné la pêche et j’entame cette nuit avec la banane.
Après cet épisode, la nuit sera globalement paisible mais rapidement une nouvelle source d’inquiétude occupe en sourdine nos esprits… N’ayant pu, contre toute attente, faire le plein de gas-oil à Essaouira et ayant dû mettre le moteur une bonne partie de la nuit, notre jauge d’essence flirte sévèrement avec le zéro… Nous serrons les fesses, croisons les doigts, baissons le régime moteur, en espérant arriver à bon port avant la panne sèche…
27/09 – Lanzarote en vue !
Heureusement, au matin Lanzarote apparaît vite : les cônes des volcans se voient de loin.
L’île est aride, noire… parsemée de maisons toutes blanches et de faible hauteur. L’effet est saisissant.
Le guide nautique recommande chaudement la marina de Puerto Calero ; nous laissons donc passer la grande ville d’Arrecife.
Ce paysage à lui seul annonce une rupture : nous ne sommes plus en Afrique… revoici l’Europe, propre, rassurante et ordonnée.
4 commentaires
DESARNAUTS
Un vrai bonheur de rentrer le soir à la maison après le bureau, les emails, le tel, les négos avec les clients et de lire vos news…Cela nous permet de s’évader …..Bonne navigation et bonne continuation
Sébastien DESARNAUTS
Gerard FITOUSSI
Bonjour les marins ! Alors là, c’est du dense ! Vous nous faites ressentir tout à la fois vos émerveillements et vos terreurs. Eh oui, la nuit, à tous les âges, sait générer ces peurs incoercibles. C’est vrai que lorsque il s’y ajoute une mer creusée et la perspective jamais exclue de taper dans un ofni il y a de quoi flipper. Bravo d’avoir donc réussi à en venir à bout.
Quant au récit féerique d’Aurelie, il m’aura fait rêver au figuré mais également au propre !
Bon vent mes amis. Profitez PROFITEZ mille fois plutôt qu’une !
Agathe
Je lis avec retard… top comme toujours – qui a dit que les ingénieurs étaient analphabètes?? Ici, pas de plancton lumineux, pas de dauphin, même pas de nuit vraiment noir!! Bravo zêtes sacrément couillus!! Et bravo à Brunion et Léo car même si le dodo est roi à leur âge, quelle expérience! Biz
Kino
Qu’est-on pas prêt à endurer pour quelques minutes de merveilleux ? Et puis fascinant ces îles noires…